Mattel et Disney fêtent Noël en Chine

Le 19 décembre 2011

Salaires de misère, amendes punitives, quatorze heures de travail par jour, six jours par semaine. Discrimination et harcèlement banalisés. En Chine, c'est le salaire des forçats de Noël qui garnissent les hottes de Disney et Mattel. Deux ONG dénoncent.

Les ménages français dépenseront en moyenne 67 euros en jouets pour ces fêtes de Noël. Toupies Beyblade, Zhu Zhu Pets et voitures télécommandées Cars 2 devraient être les jouets vedettes de ces fêtes. Mais dans les coulisses, se profile un tableau moins joyeux. Celui de la production des jouets en question. Ce marché du jouet qui connaît peu la crise. Il pèse 80 milliards de dollars sur le plan mondial, 3 058 millions d’euros en France. Pas de chance pour les majors du secteur, un rapport sur les conditions de travail dans l’industrie du jouet en Chine accable particulièrement Disney et Mattel.

Les chinoiseries des fabricants de jouets

Les chinoiseries des fabricants de jouets

Mattel, Lego ou Disney profitent allègrement des terribles conditions de travail imposées dans les usines chinoises où ...


Entre mai et octobre, quand les usines de jouets tournent à plein régime en vue des fêtes de Noël, une association d’universitaires basée à Hong Kong, la Sacom, et l’organisation China Labor Watch (CLW), ont mené une enquête approfondie chez plusieurs sous-traitants de ces multinationales.

Salaires payés en retard, heures supplémentaires obligatoires, privation de jours de repos, interdiction de parler ou de se rendre aux toilettes, amendes punitives, discrimination sexuelle, harcèlement au travail : l’enquête révèle une liste impressionnante d’abus et de violations de principes fondamentaux. Les responsables de Disney et Mattel que nous avons contactés ont cherché à relativiser les résultats de ces travaux , en citant les audits qu’ils affirment réaliser sur le sérieux de leurs sous-traitants en Chine (lire notre enquête sur ce point).

Trois Barbie vendues par secondes

L’industrie du jouet en Chine, ce sont 4 millions d’ouvriers, qui produisent 80% des jouets vendus à travers le monde, 90% des jouets importés en Europe. 60% de ceux importés en France. 4 000 usines chinoises travaillent pour les sous-traitants de Mattel et Disney. 70% de ces usines se situent en Chine du Sud, près de la côte, dans le delta de la Rivière des Perles, une “zone économique spéciale“, sorte d’arrière-pays de Hong-Kong.

Barbie à la chaîne

En 2001 déjà, un rapport du Hong Kong Christian Industrial Committee (HKCIC) y dénonçait des conditions de travail “infernales”, épinglant sans ménagement Hasbro, McDonald’s, Disney et Mattel. “Dix ans plus tard, rien n’a vraiment changé, malgré quelques améliorations minimes”, déplore Debby Chan, chef de projet à la Sacom.

Premier géant du jouet pointé du doigt : Mattel. Chaque année, le leader mondial du jouet commercialise des millions de poupées Barbie (trois par seconde) fabriquées à 80% en Chine. Sur le site de Sturdy Products, à Shenzhen, on ne fabrique pas la célèbre poupée, mais des voitures miniatures, qui s’arracheront probablement à Noël : les Hot Wheels. Dans l’usine chinoise, déjà dénoncée par la Sacom en 2007, quelque 6 000 ouvriers travaillent d’arrache-pied, 12h par jour, 6 jours par semaine, pour des salaires ridiculement bas. Selon la Sacom :

Les salaires sont maintenus à des niveaux extrêmement bas, à cause des quotas de production qui sont presque impossibles à remplir.

Dans cette fabrique, qui a exporté en 2010 plus de 30 millions de dollars de jouets, les ouvriers touchent 154 euros par mois, le salaire minimum. En effectuant des heures supplémentaires, ils peuvent espérer atteindre 327 euros. Pour cela, le maximum légal de 36 heures supplémentaires par mois est allégrement dépassé. Les ouvriers de Sturdy Products ont ainsi effectué, l’été dernier, pendant la “haute saison”, entre 100 et 120 heures supplémentaires par mois, comme le prouvent des fiches de paie que s’est procurée la Sacom.

Une voiture Hotwheels, beaucoup d'heures supplémentaires

Au moment de l’embauche, certains ouvriers affirment avoir été poussés à signer un document les engageant à travailler au delà du maximum légal. Debby Chan, de la Sacom, décrit des conditions de travail “indignes”, proches de “l’enfer” :

Les ouvriers, des femmes le plus souvent, sont harcelés et insultés en permanence par leurs patrons. Les cadences de travail sont excessives, il faut produire beaucoup en peu de temps. Il y a de graves négligences en matière de sécurité du travail. Les ouvrières utilisent des produits chimiques dangereux, des diluants, des colles, du plomb. Des masques chirurgicaux leur sont fournis, mais ils sont inefficaces pour les protéger des vapeurs toxiques. Récemment, deux ouvrières ont dû être hospitalisées, mais elles n’ont reçu aucune compensation de la part de leurs employeurs.

D’après l’enquête de l’ONG, l’usine de Shenzhen aurait employé plusieurs enfants âgés de 14 à 15 ans. En mai 2011, Nianzhen Hu, une ouvrière de l’usine, s’est suicidée en sautant du sixième étage de l’usine. Selon sa famille, elle était souvent “réprimandée” par la direction “parce qu’elle n’était pas assez efficace”. On lui avait ordonné, en guise de punition, de ne pas venir travailler.

Audits inefficaces

Depuis 2006, l’usine est pourtant régulièrement certifiée décente” par la Fédération Internationale des Industries du Jouet (ICTI). Depuis dix ans, l’ICTI effectue des audits sociaux dans plus de 2 400 usines chinoises. Destiné à “promouvoir une fabrication éthique”, le “Care Process” de l’ICTI repose sur un code de pratiques commerciales” imposé aux sous-traitants de multinationales membres, comme Mattel, qui interdit le travail des enfants et édicte une série de “règles de bonnes conduites” à respecter : “environnement de travail sûr“, “assistante médicale en cas d’urgence”, congés maladie, etc.

Disney Store Toys

Un rayon de peluches au Disney Store des Champs Elysées. Tous ces jouets sont "made in China".

Marie-Claude Hessler, ancienne juriste d’Amnesty International, est actionnaire minoritaire de Mattel. À chaque assemblée générale, en mai à Los Angeles, elle prend la parole et pose aux dirigeants des questions qui fâchent. Les audits de l’ICTI, l’ex-juriste les considère comme “de la poudre aux yeux.”

Les inspecteurs de l’ICTI viennent d’Europe ou des Etats-Unis, sans vraie connaissance du terrain. Ils sont très faciles à leurrer. Et quand la Fédération fait appel à des compagnies d’audit externes, régulièrement, des usines se plaignent de la corruption des inspecteurs, qui leur réclament de l’argent contre une certification.

Les ONG dénoncent des audits sociaux inefficaces, inutiles. Feng Yu, 21 ans, a travaillé pendant trois ans dans plusieurs usines de jouets à Shenzhen. Elle raconte : “Avant les contrôles, on nous réunissait dans une salle, et on nous expliquait les questions que l’on allait nous poser, et surtout ce qu’il fallait répondre aux inspecteurs.” A Sturdy Products, la Sacom reporte même le cas d’ouvriers payés pour mentir lors des audits. Debby Chan ne se fait aucune illusion :

Dans la pratique, les directeurs d’usines sont informés à l’avance de l’arrivée des inspecteurs, ils ont le temps de faire le grand ménage, de cacher les produits chimiques, de faire partir les enfants, de fabriquer de faux contrats de travail, de fausses fiches de paie. C’est tout un cinéma qui est mis en place pour tromper les inspecteurs.

Marie-Claude Hessler déplore l’attitude de Mattel et d’autres géants du jouet, comme Disney, qui “se reposent de plus en plus sur les audits de l’ICTI, avant de mener leurs propres vérifications.” En 1997, Mattel avait monté une cellule d’experts indépendants, qui visitaient les usines tous les trois ans, faisant respecter le code de conduite de l’entreprise. “A l’époque, l’entreprise avait un PDG un peu avant-gardiste, mais depuis qu’il a été remplacé, Mattel a supprimé cette commission indépendante et se cache derrière l’ICTI, se bornant à publier de temps en temps les rapports de la Fédération”, lance Marie-Claude Hessler. L’ancienne juriste déplore l’attitude de l’ICTI : “Pour l’industrie du jouet, les audits doivent rester inefficaces… ça rapporte beaucoup trop.”

Interrogé par OWNI, le président de l’ICTI Care Process, Christian Ewert, n’apprécie pas. “Le but de notre Code de conduite est d’assurer un traitement équitable des ouvriers des usines de jouets, dans le monde entier. Quand une usine ne respecte pas le code, nous veillons à ce qu’elle corrige le tir. Nos contrôles sont quant à eux d’une grande qualité “ Et de tirer à boulets rouges sur la Sacom :

La Sacom n’est vraiment pas gentille avec l’ICTI Care Process. Ces dernières années, elle n’a cessé de nous critiquer, n’a jamais donné de crédit à nos actions, et refuse de nous rencontrer. Nous sommes pourtant ouverts au dialogue, acceptons les enquêtes des ONG, et agissons dès que les résultats de ces enquêtes nous sont communiqués, ou lorsqu’un ouvrier nous contacte pour dénoncer son usine. Notre travail se fait dans la durée, il prend du temps, et chaque année les choses vont de mieux en mieux.

30 heures de travail ininterrompues

Également pointée du doigt, la Walt Disney Company. À Sturdy Products, les ouvriers chinois produisent ses petites voitures à l’effigie de Flash McQueen, héros de Cars. Dans son dernier rapport, la Sacom se penche aussi sur la situation à On Tai Toys et Hung Hing Printing, deux usines nichées dans le delta de la Rivière des Perles. Les figurines Buzz l’Eclair, les albums de coloriage Disney sortent chaque hiver de ces fabriques, où les ouvriers travaillent entre 12 et 14 heures par jour, dans des conditions dangereuses.

Dans l’usine de On Tai Toys, les ouvriers manipulent ainsi des produits chimiques sans étiquettes, et sans moyens de protection (gants, masques). Ils dorment à l’usine, dans des dortoirs minuscules, envahis par les rats et les insectes. Le logement et la cantine, 40 euros en tout, sont retenus sur les salaires des ouvriers. A Hung Hing, l’une des 30 usines chinoises comptant le plus d’accidents de travail, les blessures sont monnaie courante, et les salaires sont payés avec trois semaines voire un mois de retard.

OWNI a contacté les différentes usines concernées, souvent en vain. À On Tai Toys, “on ne répond pas aux journalistes”, lance froidement un responsable de l’usine. A Sturdy Products, Damon Chan, l’un des responsables de l’usine, demande très poliment un peu de temps avant de répondre (OWNI attend toujours sa réponse), mais indique “prendre cette affaire, sujet très sensible à Sturdy Products, très au sérieux.”

Seule véritable réaction, celle du directeur général de Hung Hing Printing Group, Dennis Wong, qui justifie le dépassement des heures supplémentaires par des salaires de base “insuffisants pour vivre : les ouvriers ne peuvent gagner plus de 154 euros par mois, ils ont besoin de ces heures supplémentaires.” Entre juin et octobre, pendant la haute saison, des ouvriers de Hung Hing ont effectué jusqu’à 100 heures supplémentaires par mois, certains jusqu’à 30 heures interrompues, uniquement pour “honorer les délais d’une commande.”


Photos sous licences Creative Commons via Flickr : source et photo du Disney Store au mobile par Fabien Soyez

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