Poussée républicaine contre l’avortement

Le 25 juillet 2011

Entre calculs électoraux et campagnes des "pro-life", jamais les élus républicains n'ont été si déterminés à s'attaquer au droit à l'avortement. État des lieux data des restrictions sur l'IVG aux Etats-Unis.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article sont en anglais.

C’est un record : au cours du seul premier semestre 2011, 80 nouvelles lois ont été votées par les législatures des États américains pour durcir les conditions d’accès à l’avortement. Le dernier pic remontait à 2005 avec 34 mesures de restriction adoptées. C’est ce que révèle le Guttmacher Institute, institut de recherche américain spécialisé dans la santé reproductive [fr], qui vient de publier son rapport bi-annuel sur l’IVG aux États-Unis.

Depuis 1973 et la légalisation de l’avortement par la décision « Roe v. Wade » [fr] de la Cour Suprême américaine, la droite conservatrice s’est rassemblée dans des mouvements « pro-life » qui ont peu à peu gagné une influence considérable dans la machine républicaine.

En 1992, « Planned Parenthood v. Casey », nouveau jugement de la Cour Suprême, offre aux États une plus grande marge de manœuvre dans la législation sur l’avortement. Ils peuvent adopter des mesures restrictives tant que les contraintes pour les femmes ne sont pas jugées excessives. Cette décision va marquer le début d’une augmentation permanente des mesures anti-avortement.

En tête des États les plus restrictifs, ceux de la Bible Belt [fr] et du Midwest, le Kansas devançant tous les autres. Ceux-là ne manquent pas de ressources pour semer d’embûches le parcours des femmes voulant se faire avorter : délais d’attente, séances de conseils dirigées par des « pro-life », restrictions budgétaires sur les planning familiaux ou encore non-remboursements des frais médicaux.

Une minorité d’États beaucoup plus libéraux respectent encore les fondements de « Roe v. Wade », New York et la Californie en tête.

Si les politiques restrictives sont monnaie courante après 1992, on assiste depuis les « Midterms » de novembre 2010 à une intensification des attaques contre l’avortement. La victoire des Républicains dans une majorité d’États et la popularité du mouvement conservateur du Tea Party [fr] contribuent à cette tendance. C’est ce que décrit Elizabeth Nash, experte juridique au Guttmacher Institute :

L’augmentation des mesures anti-avortement est directement liée aux élections de novembre 2010 qui ont vu l’arrivée de législatures très conservatrices dans plusieurs États.
Il y a aussi eu un bouleversement au niveau des gouverneurs. Certains d’entre eux ont été élus sur des programmes anti-avortement.

Pour Sam Brownback, gouverneur républicain du Kansas, État devenu le plus répressif depuis son élection :

L’avortement est la question morale la plus importante de notre temps, tout comme l’esclavage l’était il y a 150 ans.

On observe ainsi un lien entre l’arrivée de conservateurs à la tête de certains États et l’apparition de nouvelles mesures répressives. C’est le cas du Kansas mais aussi de l’Ohio, de la Floride, du Wisconsin et de l’Oklahoma, dont la gouverneure Mary Fallin « a toujours été pro-life ».

Tout est fait pour décourager les femmes voulant se faire avorter. Parmi les mesures privilégiées par les élus « pro-life », celles qui prévoient des délais d’attente sont les plus courantes. Elles imposent la plupart du temps aux femmes d’attendre 24 heures ou plus entre leur première visite à la clinique et l’IVG.

Ces délais sont souvent accompagnés de visites chez un conseiller qui rappelle les risques de l’opération, parfois de manière mensongère. C’est le cas dans le Dakota du Sud et au Texas où des brochures citent le cancer du sein comme conséquence possible de la procédure.

Lors du premier semestre 2011, cinq États ont adopté des mesures concernant les délais d’attente. Le Dakota du Sud a tenté d’aller plus loin en imposant un délai de 72 heures dans une loi qui a été suspendue par la justice fédérale.

Ces quelques heures de délai peuvent paraître anodines mais elles sont un obstacle de plus sur le chemin des femmes qui souhaitent se faire avorter. Elizabeth Nash du Guttmacher Institute explique:

Les délais d’attente forcent les femmes à faire plusieurs trajets vers des cliniques qui sont parfois éloignées de chez elles. Dans certains endroits, le médecin n’est présent qu’une fois par semaine, voire tous les quinze jours, pour pratiquer des avortements.

Le délai d’attente dépasse alors largement les 24 heures puisque la patiente doit attendre une semaine de plus ce qui peut augmenter considérablement les coûts de l’opération. Les femmes les plus pauvres sont les premières victimes.

Le prix d’un avortement augmente ainsi en fonction de la gestation, allant de 425 dollars pendant les dix premières semaines à plus de 1500 dollars plus tard dans la grossesse. Le remboursement de la procédure dépend de son assurance et de l’État où l’on vit.

Certains États limitent ainsi les remboursements aux cas de viols, d’incestes ou lorsque la vie de la patiente est menacée. D’autres comme le Kentucky ou le Kansas ne l’autorisent que dans ce dernier cas. Les femmes les moins favorisées font les premières les frais de ces politiques.

Derniers remparts face aux législatures des États, les cours de justice fédérales jouent un rôle primordial dans la lutte contre les restrictions. Depuis le début de l’année, elles ont bloqué plusieurs lois votées par le Dakota du Sud, le Kansas ou l’Indiana. Mais les juges fédéraux ne peuvent rien contre les coupes budgétaires imposées aux planning familiaux et seule une minorité de lois ne verront pas le jour grâce à leur intervention.

Que la loi passe ou pas, l’élu qui l’a défendue sortira grandi auprès d’un électorat « pro-life » généreux dans le financement des campagnes électorales. Certains politiques proposeraient même des lois qu’ils savent condamnées d’avance pour séduire la frange conservatrice du Parti républicain.

La question de l’avortement s’invite aussi dans les élections et les débats nationaux. Les élections de 2012 devraient avoir leur compte de débats sur l’avortement. Beaucoup moins centrale que l’économie, la question de l’IVG reste tout de même très importante chez les Républicains. Être « pro-life » ne vous offrira pas la victoire, mais soutenir l’avortement peut être synonyme de défaite. En 2008, alors que Rudy Giuliani était considéré comme favori, ses positions « pro-choice » lui ont fait perdre le caucus1 de l’Iowa.

Pour Elizabeth Nash :

Les primaires ont tendance à attiser les extrêmes des deux parties, donc l’avortement sera sûrement une question importante pour la frange la plus conservatrice des Républicains. Le Tea Party est d’ailleurs très actif sur la question.

La liste Susan B. Anthony, groupe « pro-life », demande ainsi aux candidats aux primaires républicaines de s’engager à ne nommer que des juges ou des politiques pro-life aux postes clés du gouvernement fédéral. Le « Pro-Life Leadership Presidential Pledge » a déjà été signé par six candidats républicains.

Le durcissement des lois sur l’avortement devrait donc rester un argument électoral majeur pour les Républicains. Dans tous les cas, 2012 sera riche en joyeuses campagnes de comm’ :

Toutes les données utilisées pour les cartes sont issues de rapports du Guttmacher Institute.

Retrouvez notre dossier sur l’avortement :
L’avortement aux Etats-Unis: un débat graphique
L’avortement et son dégradé de lois dans l’Europe chrétienne

Image CC Flickr Amphis d’@illeurs

  1. l’équivalent de nos primaires aux États-Unis []

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