Le Minitel, soutien de la presse

Le 27 mars 2011

Puisqu'au lancement du Minitel, la presse craint d'y voir son remplaçant, le Gouvernement lui donne la totale maîtrise des services payants. Provoquant la naissance d'un écosystème vaste et fructueux.

Comme toutes les bonnes idées en France, le Minitel est une idée d’Alain Minc. Parce que même si on n’a pas de pétrole… En 1977, le brillant inspecteur des finances remet à Valéry Giscard d’Estaing un rapport sur l’informatisation de la société co-écrit avec Simon Nora.

Valéry Giscard d’Estaing est convaincu et charge une équipe de mettre en oeuvre l’informatisation. En 1980, une première expérimentation a lieu à Saint-Malo avec l’annuaire électronique. Puis en 1981 en Ille-et-Vilaine. C’est un succès. Le Minitel propose l’affichage d’une base de données chez l’utilisateur. Oh ! Un écran qui affiche des informations? Concurrence déloyale selon la presse. Ouest-France publie d’ailleurs au lendemain de l’expérimentation une tribune intitulée “L’information ne peut être traitée comme une marchandise“. Face à la presse craintive, les PTT choisissent donc de créer un kiosque de services qui leur sera réservé.

La presse sous perfusion

En 1985, le 3615 est lancé. Une taxation arrière: la révolution. Le revenu de la connexion, environ 10 francs la minute, est redistribué à France Telecom et au fournisseur de service. Et tout est facturé en fin de mois. Le plus important, c’est que le “code” ne peut être attribué qu’aux entreprises de presse. C’est la naissance de la vache à lait pour de nombreux groupes de médias. Parce que le Minitel, ça rapporte ! Et pas seulement le Minitel Rose. En 1995, plus de 24 000 services co-existent. La météo, les courses, la vente à domicile, les rencontres, les résultats du bac… Tous les services existants aujourd’hui sur Internet existaient déjà sur le Minitel.

Surtout qu’il est intéressant de noter que, de la même manière que Ségolène Royal a inspiré la campagne en ligne de Barack Obama, le Minitel a permis aux États-Unis en 1994 de développer les autoroutes de l’information. Effectivement, tous ces services ont convaincu Al Gore, alors vice-président, de se lancer dans l’aventure.

Revenons au 3615. L’affaire est tellement rentable que fleurissent partout ces préfixes préfigurant la bulle “.com”. N’importe quel commerce ajoutait les chiffres magiques pour exposer au monde son niveau de modernité. Phénomène d’ailleurs très bien illustré par Les Deschiens et leur 3615 Qui n’en veut ou la perpétuation de l’expression “3615 ma vie” pour se moquer gentiment des gens un peu trop diserts sur leur vie personnelle.

Fructueuses rencontres

Les stars de ces années Minitel sont sans conteste les messageries coquines. Le “sex chat” serait la première chose que feraient des adultes arrivant sur un nouveau medium. Ces messageries “conviviales” pour reprendre les termes du sénateur Louis Souvet en 1989 sont des vrais moyens de gagner de l’argent. N’en déplaise d’ailleurs à Gérard Longuet qui déplore de voir le fleuron télématique se transformer dans “un usage qui le situe dans la grande tradition des Folies-Bergère !”. Claude Perdriel, patron du Nouvel Observateur, et les autres minitelo-millionaires le comprennent vite. Il fonde 3615 ALINE et le fameux 3615 ULLA. Sur le Minitel Rose, il s’agit de faire rester les gens le plus longtemps possible. Tous les moyens sont bons. Il fallait garder le poisson sur l’hameçon. Lui inventer des fantasmes. Toujours revenir à la charge. Les hôtesses avec 4 ou 5 minitels sous les doigts, enchaînant les conversations avec les vigiles et les patrons.

Des initiatives assez intéressantes sont imaginées, comme par exemple un “film” relatant les péripéties de Justine d’après une Å“uvre du Marquis de Sade. Il fut vendu à de nombreux codes avant de subir les foudres de la censure.

http://dev.alphoenix.net/data/justine.flv

Toujours d’attaque

Mais l’intéressant, c’est qu’aujourd’hui le Minitel n’est pas mort. Il est plus rentable que le web et reçoit encore de nombreuses connexions. Tout d’abord parce qu’il résiste mieux aux attaques du temps. Ensuite parce qu’il héberge de nombreuses applications professionnelles très utilisées, comme une bourse de fret par exemple. Enfin, il est beaucoup plus stable. Un père de famille confiait que c’était le meilleur moyen d’avoir les résultats du bac. La page qui se charge petit à petit. Beaucoup plus efficace que les serveurs surchargés sur l’Internet. Le Minitel n’est qu’un moniteur branché à des machines centralisées. Ce qui fait dire à des spécialistes, que si France Telecom n’a pas fermé le service d’ici là, le Minitel s’arrêtera vers 2012. Car les tube cathodiques ont une durée de vie de 30 ans et que plus aucun moniteur n’est fabriqué aujourd’hui.

Du cul télématique oui, mais de la politique aussi: rappelons notamment que grâce à Félix Guattari et 3615 ALTER, le Minitel a également permis de coordonner le mouvement de grèves des étudiants en 1986 et celui des infirmières en 1988. Internet n’à qu’à bien se tenir !

Article initialement lu durant la #NuitSujet

Illustrations CC FlickR: Bernard Marty, antjeverena et perolofforsberg

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