Vincent Peillon, le coup d’éclat (im)pertinent

Le 18 janvier 2010

[...] Le philosophe Vincent Peillon a en ce jeudi soir subordonné le Vincent Peillon politicien pour pouvoir convoquer en un geste violent Habermas, Chomsky , Cicéron et Foucault. Les réactions a son refus « impoli » de se rendre sur un plateau pour débattre sur un sujet qu’il juge indigne prouvent en majorité par leur caractère offusqué cette forme de résorption de la pensée rhétorique dans le préjugé social ...

Marine LePen a jugé Eric Besson impoli en ce jeudi soir de messe télévisuelle, après en bon rhéteur,  avoir fait rire d’un seul bon mot assimilant notre ministre de l’Identité Nationale à un produit deux en un «  socialiste et UMP à la fois. » A mes yeux,  sans doute sans en être consciente, l’euro député du Front National a posé la vraie question de fond de cette soirée : celle de la politesse dans le débat démocratique médiatisé, celle que Vincent Peillon lui aussi venait de façon fracassante de remettre en cause en transgressant les codes de conduite oratoire et refusant le débat et ses conditions, dans ce que l’on pourrait interpréter un peu facilement comme un geste outrecuidant de fuite ou du moins peu démocratique de refus du débat.

Le philosophe Vincent Peillon a en ce jeudi soir subordonné le Vincent Peillon politicien pour pouvoir convoquer en un geste violent Habermas, Chomsky , Cicéron et Foucault.  Les réactions a son refus « impoli » de se rendre sur un plateau pour débattre sur un sujet qu’il juge indigne prouvent en majorité par leur caractère offusqué cette forme de résorption de la pensée rhétorique dans le préjugé social, qui est devenu notre quotidien médiatique, avec pour ultime critère ce jugement de la foule.

Le spectacle du débat dévoilé

Dans sa justification a posteriori , Vincent Peillon a convoqué sans les nommer Chomsky et Debord : fabrique du consentement et société du spectacle. Sur l’occurrence du deuxième dans notre vie quotidienne, il n’est point besoin de discuter une évidence.  Mais qu’en est il du premier qui remet en cause la mission de service public au sens noble de ce terme à la télévision française ?

Les modalités ( le piège dit il ) du passage de Vincent Peillon dans A vous de juger ne sont pas pertinentes en l’occurrence. Plus pertinent est le contenu même de l’émission.  Le portrait effectué de M. Besson en début d’émission justifie à lui seul l’argumentaire de Vincent Peillon.  Dans ce « reportage », rien ne nous est épargné, rien n’est politique : apparition de l’intime, justification psychologisante, biographisme politique.  Son ex-femme vient nous donner le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy comme un leitmotiv de la vie de son ex-mari. Ses origines sont évoquées avec force musique, appuyant tant sur la méditerranéité d’Eric Besson que sur l’intime douloureux de la perte d’un père remplacé par  chance par la nation. Après avoir saacrifié à cette mode du témoignage de la maîtresse,  même les politiques socialistes interrogés se livrent à des explications  touchant au pathos , parlant d’humiliation. Rien de politique, rien des convictions, tout dans l’extime. Jusqu’au sacrifice suprême du père préférant son devoir envers la Nation et donc éducateur des valeurs républicaines, comme il lui a été transmis par sa mère à qui il fait « une spéciale dédicace »et restant ministre malgré les pleurs honteux de ses enfants. On l’aura compris M.Besson est humain, trop humain.  M.Besson est français, tout le prouve et tolérant, ce qui restait à prouver. Voilà qui est fait, son identité nationale est établie.

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Puis vint le débat avec Marine LePen qui pose l’identité électorale de ceux que sert M.Besson.  Marine LePen ( qui a hérité des qualités oratoires de son père apparement) fait un contresens lorsqu’elle pose que le FN est le seul  « véritable » opposant à l’UMP , face à l’annonce de la défection de M.Peillon. Elle n’a pas compris que le dispositif de l’émission servait au contraire la fin de convaincre son électorat tout en marquant courtoisement son désaccord avec la xénophobie du FN.  Elle n’est que le contre-exemple sur ce plateau. A l’heure de grande écoute, elle permet à Eric Besson d’être autre chose qu’un traître aux yeux du téléspectateur, mais un être convaincu, car socialiste ou UMP, il sera toujours anti-FN. Elle n’est qu’une stratégie de repoussoir.

S’il est une phrase de cette soirée qui prouve que Peillon a bien fait de convoquer Chomsky, elle vient d’Arlette Chabot qui s’adressant à Eric Besson dit : « vous aimez les effets médiatiques on ne peut pas vous en vouloir vous avez été journaliste ! ». C’est donc cela être journaliste, aimer les effets médiatiques ! Dire que certains pensaient que cela consistait à aimer les faits, les causes, les analyses,  rechercher une forme de vérité !

Ce soir là , l’audimat ne sera pas au rendez vous, mais l’effet médiatique se posera sur ce que l’on attendait pas : la défection « grossière » de Vincent Peillon.  C’est elle qui devient sujet  des interventions, non plus comme habituellement par la présence dans un média mais par l’absence, et plus encore par les modalités de cette absence.

Une polémique est-elle un débat ?

Face à la mine grise de colère contenue d’Arlette Chabot, comment ne pas convenir que M. Peillon a dépasser les bornes de la convenance avec une violence peu commune au service politique de France 2 : un communiqué de presse et l’extinction de son portable ? Faut-il donc être un goujat d’une part et peu démocrate d’autre part pour refuser le débat dans ses conditions ?  Plus largement, quelle part de violence est acceptable dans la pratique du jeu politique médiatisé ?

Vincent Peillon l’a bien compris la polémique nait de la polarisation entre ami et ennemi , face à face constituant du politique et qui prend une dimension tragique avec Eric Besson, ancien compagnon de conviction.  Les procédés dans laquelle celle-ci doit s’exercer sont extrêmement codifiés : langage, présentation etc.  Les opposants rentrent en compétition au sein d’un même espace socio-institutionnel commun dans lequel le but n’est pas d’avoir raison mais de réduire l’autre au silence.  Dans cet espace, l’attention au convenable est essentielle. Pour reprendre Cicéron dans De Oratore, il faut faire preuve de retenues dans les saillies ( dicacitatis moderatio ) et préserver la gravité ( gravitas) en se contrôlant ( temperentia) et en faisant attention à la fréquence de ses traits d’esprit ( raritas dictorum). Ce qu’il ne faut pas, c’est rendre visible une agressivité impropre ( petulentia). Cette même agressivité ne relève pas du fond mais de la forme. On pourrait croire que Vincent Peillon a été «  pétulant » au moins envers  l’animatrice d’A vous de juger ce soir là.

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Mais ce serait méconnaître la nature de la polémique. L’aspect fondamental de celle-ci est de n’être astreinte à aucune condition ou raison, elle est transgressive des normes traditionnelles.  Pour nier l’existence d’un débat sur l’identité nationale, Vincent Peillon a polémiqué en niant l’existence même du dispositif de débat organisé par France 2.

Un risque politique, une identité

Par cette  transgression, Vincent Peillon s’est éprouvé. Il s’est mis en épreuve, c’est-à-dire qu’il traverse un moment destiné à requalifier  son entité, ce qu’il représente, par rapport à des questions saillantes, celle essentielle des modalités du débat démocratique. Ce faisant, et après avoir révoqué tout jugement moral qui fait passer la dissimulation ( agir stratégique ) pour du mensonge, il légitime la violence de son procédé par les graves conséquences sociales que le débat indigne sur l’identité nationale lui semble porter, et en cela, il prend un risque éminemment politique, d’une acuité et d’une profondeur rhétorique peu en cour actuellement.  Vincent Peillon a donc éprouvé son identité politique et éprouve la notre en mettant à jour la distorsion entre le réel de la politique politicienne et l’idéal de débat démocratique. En somme, il a donné sa pierre à l’édifice de débat national d’Eric Besson : être français, c’est être éminemment politique.

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