Droit de prêt et licence globale : faux amis, vrai débat

Le 10 juin 2009

Les bibliothécaires s’interrogent beaucoup sur la licence globale ! [billet initialement publié sur SI. LEX le blog de Lionel Maurel (Conservateur des bibliothèques en poste à la Bibliothèque nationale de France), en réponse notamment à cet article publié sur Owni] En amont, pendant et à l’issue du débat sur la loi Hadopi, plusieurs bibliothécaires (et non des [...]

Les bibliothécaires s’interrogent beaucoup sur la licence globale !

[billet initialement publié sur SI. LEX le blog de Lionel Maurel (Conservateur des bibliothèques en poste à la Bibliothèque nationale de France), en réponse notamment à cet article publié sur Owni]

En amont, pendant et à l’issue du débat sur la loi Hadopi, plusieurs bibliothécaires (et non des moindres !) ont publié des billets ou des interviews dans lesquelles ils tendent à faire une analogie entre le système du droit de prêt en bibliothèque et celui de la licence globale (voir ici pour des compléments sur le droit de prêt et là pour la licence globale).

Les apparences sont parfois trompeuses ...

Les apparences sont parfois trompeuses …

C’était le cas déjà en mars 2008 sur Bibliobsession (Licence globale et droit de prêt en bibliothèque : même combat !)

“Bibliothécaires, cette idée de licence globale vous semble étrangement familière? C’est normal, elle fonctionne exactement sur le principe de la loi sur le droit de prêt dans les bibliothèques [...] tout comme une part des achats des bibliothèques est mutualisée pour être répartie aux auteurs et ayant-droit, garantissant un accès à tous à des oeuvres culturelles (moyennant une somme modique ou mieux : gratuitement), une licence globale entend mutualiser à une échelle bien plus large et complexe les téléchargements d’oeuvres pour promouvoir un accès facilité à l’information.”

Plus récemment, c’est Bertrand Calenge qui reprenait sur son blog des arguments similaires (Droit de prêt et Hadopi : quelle parenté ?)

[...] ce qui est le plus intéressant, c’est que les arguments échangés au cours de ce débat [celui sur le droit de prêt en bibliothèque] rappellent furieusement ceux qui entourent Hadopi… et que le législateur (déjà majoritairement UMP et il y a moins de 5 ans) a alors opté finalement pour cette forme de licence globale (et qui plus est en y participant lui-même largement) [...] Pourquoi ce qui a été jugé pertinent pour le livre et les bibliothèques ne fonctionnerait-il pas pour contenus culturels en ligne et citoyens ? Même si aujourd’hui l’échelle est différente (quelques milliers d’établissements hier face à des millions d’abonnés à Internet aujourd’hui) et si les objets culturels peuvent être plus divers sur Internet (encore qu’on n’entende guère maintenant que les arguments de la seule industrie musicale, donc des disques), la problématique est étrangement similaire.

Et pour finir, Patrick Bazin a donné récemment un entretien à LibéLyon dans lequel il force encore le trait  (Hadopi et bibliothèques : la liberté participe de la logique de service public)

“Depuis 20 ans, dit-il, Internet s’est construit sur le modèle des bibliothèques. » Pour lui, le problème de fond de la loi création et internet – concilier accès aux œuvres et droits d’auteurs -, rejoint la problématique que connaissent les bibliothèques depuis belle lurette. Le prêt en bibliothèque consiste bien à mettre à disposition du plus grand nombre un livre (ou une autre œuvre) gratuitement, tout en prévoyant un système de redistribution des droits.

Il y a peu, j’avais  repéré un article américain de Bill Kallman, qui montre qu’à l’étranger également, l’alternative au système actuel de diffusion des oeuvres est pensé selon le modèle de la bibliothèque (The case for a Global Digital Public Library Network policy).

Et certains députés s’opposant à la loi Hadopi ont eu aussi eu recours à l’image de la bibliothèque pour défendre la licence globale. C’est particulièrement le cas de Nicolas Dupont-Aignan (député de droite indépendant DLR, qui s’est beaucoup investi contre Hadopi), lors de son intervention à l’Assemblée au moment du vote de la loi

Vous aviez la chance de pouvoir offrir à chaque foyer une médiathèque universelle, d’inventer un système de rémunération des auteurs, des artistes, des créateurs digne de notre époque et digne de cet atout. Mais vous avez préféré, par esprit de cour, pour plaire et complaire, suivre quelques vedettes vieillissantes qui ne veulent pas s’adapter au monde d’aujourd’hui.

L'internet de demain sera-t-il une bibliothèque universelle ?

L’internet de demain sera-t-il une bibliothèque universelle ?

Si l’on veut résumer, le système de la licence globale est supporté, d’un point de vue professionnel, par des bibliothécaires, au nom de l’analogie avec le droit de prêt en bibliothèque. Le modèle juridique et économique qui fonctionne pour le droit de prêt tendrait à prouver que l’on peut réorganiser Internet à la manière d’une gigantesque bibliothèque publique, ce qui permettrait de régler le problème de la tension entre diffusion étendue des œuvres en ligne et rémunération des titulaires de droits.

Or si ce raisonnement me paraît constituer un vrai débat de fond, j’avoue avoir beaucoup plus de mal à y adhérer d’un point de vue juridique, car à mon sens, droit de prêt et licence globale n’entretiennent que des rapports lointains d’analogie. J’aimerais dans ce billet prendre le temps de mettre en lumière les différences majeures qui opposent les deux systèmes.

1) Les actes de partage en ligne que la licence globale légaliserait ne sont pas assimilables à des formes de prêt

Première différence de fond : la loi du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque porte comme son nom l’indique sur la pratique … du prêt ! La définition juridique du prêt implique deux éléments : un acte de mise à disposition d’un objet à l’égard d’autrui suivie d’une restitution de l’objet en cause par l’emprunteur au terme d’une durée déterminée.

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Ceci n’est pas un prêt

Or les échanges peer to peer que la licence globale légaliseraient ne sont nullement assimilables à des actes de prêt. La mise à disposition sur ces réseaux d’œuvres permet aux autres utilisateurs une appropriation définitive des objets et n’implique pas de restitution. Il existe certes dans ce système une forme de réciprocité, de logique collective de partage (don/contredon) dans la mesure où les utilisateurs du P2P qui téléchargent sont aussi censés mettre en ligne des œuvres pour alimenter le système. Mais ce n’est pas une obligation et l’analogie avec le prêt me paraît largement forcée.

Si l’on veut comparer des choses comparables, la contrepartie numérique du droit de prêt en bibliothèque ne peut être qu’un droit de prêt en ligne de documents à destination des usagers des bibliothèques. Or ce droit de prêt numérique n’est pas possible dans le cadre de la loi sur le droit de prêt de 2003, tout simplement parce que la définition du livre qui a été retenue exclut les supports numériques. Et pour les autres types de documents, aucune disposition légale n’autorise les bibliothèques à prêter en ligne des documents, que ce soit de la musique, du son, des images ou des textes. Si cette pratique se développe, c’est seulement en vertu de licences privées conclues avec certains fournisseurs qui prévoient ce type d’offres (Numilog pour les e-books ou Bibliomédia pour la musique et la vidéo, par exemple).

Sur le fond, j’ai donc du mal à voir l’analogie entre licence globale et droit de prêt …

2) Les modes de rémunération de la licence globale et du droit de prêt en bibliothèque sont radicalement différents :

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Une représentation du mode de financement de la licence globale

Licence globale et droit de prêt constituent bien tous les deux des systèmes de licence légale, par lesquels le législateur interdit aux titulaires de droits de s’opposer à certains modes d’utilisation des œuvres protégées, en contrepartie d’une rémunération dont le versement est administré par une ou des sociétés de gestion collective (bien qu’on ne peut que spéculer à ce sujet pour la licence globale et de nombreux scénarios existent  au niveau du mode de rémunération).

L’analogie est fondée jusque là et j’imagine que c’est ce point de ressemblance qui sous-tend les prises de position des bibliothécaires en faveur de la licence globale. Mais très vite des différences majeures ressurgissent, si l’on pousse plus loin l’analyse.

Le droit de prêt en bibliothèque a été mis en place pour éviter un paiement à l’acte, supporté directement par l’usager (qui était pourtant revendiqué par certains éditeurs et auteurs). Le législateur a voulu mettre en place un mode public de rémunération du droit de prêt : une partie des financements est directement apportée par l’Etat (calculée à partir du nombre d’inscrits en bibliothèques), l’autre relève des collectivités locales responsables des bibliothèques et intervient au moment de l’achat des livres en librairie. L’ensemble de ces fonds sont versés à une société de gestion collective, la SOFIA, chargée de répartir les rémunérations entre auteurs et éditeurs.

En ce qui concerne la licence globale, plusieurs hypothèses de financement sont avancées par ses partisans, mais il n’est généralement pas envisagé de faire supporter à l’Etat le montant considérable des rémunérations qui devraient être mis en place à titre de compensation. La chaîne de financement serait plutôt d’ordre privé : un surcoût à l’abonnement payé directement par l’usager aux Fournisseurs d’Accès Internet (FAI), dont le produit serait reversé à une société de gestion collective pour répartition. D’autres systèmes, de type “contribution créative”, prévoient également des versement volontaires aux artistes, sous la forme d’un micro-mécénat des internautes. Dans tous les cas, même si la licence globale est encadrée par la loi, elle n’implique normalement pas une mise à contribution des finances publiques.

Or il me semble que cette différence est fondamentale : dans le cas du droit de prêt, on est bien face à une logique de service public, où la puissance publique organise un service en marge des mécanismes traditionnels du marché au nom de l’intérêt général. Dans le cas de la licence globale, la loi organise  un nouveau mode de fonctionnement du marché plutôt qu’elle ne crée un nouveau service public. Ce qui m’amène à une nouvelle différence …

3) Les modèles économiques sous-jacents au droit de prêt et à la licence globale ne sont pas assimilables :

Le droit de prêt en bibliothèques n’a jamais été conçu comme une alternative au fonctionnement normal du marché des biens culturels. Bien au contraire, il permet à une sorte de dérogation de continuer à fonctionner, de manière exceptionnelle, à la marge des échanges marchands directs, sans désorganiser ce marché puisqu’une rémunération est prévue au bénéfice des titulaires de droits pour compenser équitablement les pertes subies. De plus, le droit de prêt en bibliothèque relève d’un modèle économique d’inter-médiation (modèle Business to Business – B to B), dans lequel un organisme (public : la bibliothèque) achète des contenus à d’autres organismes (privés : les fournisseurs de biens culturels) pour les mettre à la disposition de la collectivité qu’elle dessert, soit gratuitement, soit en échange de l’acquittement d’un forfait (coût annuel de l’abonnement). Ce système B to B n’empêche pas que le marché reste organisé globalement selon une logique de Business to Consumer (B to C), dans lequel les fournisseurs vendent directement les contenus aux particuliers.

Si la licence globale est instaurée, elle légalisera un modèle tout autre, Consumer to Consumer, C to C, qui est celui existant déjà sur les plateformes de P2P. Les utilisateurs s’échangent directement entre eux les biens, sans passer par des intermédiaires. Et ce modèle, s’il est instauré, tendra certainement à devenir le canal principal d’accès aux œuvres, en remettant en cause à la fois les modèles de vente directe (B to C) et les modèles de mise à disposition par le biais d’un intermédiaire (B to B).

Le droit de prêt en bibliothèque a été instauré avec la volonté de maintenir un statu quo entre les acteurs de la chaîne du livre. C’était une solution innovante à l’époque, mais finalement assez conservatrice dans son esprit. On peut même dire que le droit de prêt a contribué à légitimer le modèle de la rareté des biens culturels en jouant un rôle de soupape sociale vis-à-vis des effets les  plus inégalitaires. La licence globale implique au contraire un bouleversement radical de l’économie des biens culturels ; elle ne peut que déstructurer en profondeur la chaîne de production et de diffusion, et c’est d’ailleurs ce qui fait si peur aux acteurs économiques du système.

Ajoutons une autre différence d’ordre économique : le droit de prêt est un modèle profondément lié au livre (le prêt de vidéo repose sur des mécanismes contractuels et il n’y a toujours aucun fondement légal au prêt de CD musicaux !). Alors que la licence globale est un modèle qui a été pensé pour la musique en ligne et étendu ensuite à la vidéo. Mais il faut relever qu’il en est très rarement question à propos du livre numérique. Les éditeurs français ne s’orientent d’ailleurs pas du tout vers ce genre de solutions et les auteurs paraissent eux-aussi assez sceptiques. J’ai d’ailleurs du mal à voir comment la licence globale pourrait s’appliquer au livre … et donc à une part majeure du fonctionnement des bibliothèques.

4) La compatibilité du droit de prêt avec le cadre juridique supranational est garantie, celle de la licence globale ne l’est pas :

Une dernière différence qui nous ramène sur le terrain juridique : la loi française sur le droit de prêt est intervenue en 2003 pour transposer une directive européenne de 1992. Le droit de prêt en bibliothèque est par ailleurs assez  répandu dans le monde (34 pays) et n’a jamais été considéré comme contraire aux traités internationaux qui règlementent le droit d’auteur.

La licence globale de son côté est très loin de pouvoir se prévaloir d’une telle inscription dans la hiérarchie des textes supranationaux. Il est même probable que le système de la licence globale ne soit pas compatible avec la directive européenne relative à l’harmonisation du droit d’auteur dans la société de l’information, ni avec les traités de l’OMPI sur le droit d’auteur, tant est puissante l’atteinte aux droits exclusifs qu’elle implique. Si c’est le cas, l’adoption de la licence globale serait conditionnée à une révision préalable de ces textes, ou contraindrait l’Etat qui la mettrait en place à se mettre en marge du concert des nations ayant ratifié ces textes (je précise que cette question divise profondément les juristes et qu’il est très difficile d’y répondre en l’état actuel des choses).

Ces différences paraissent fondamentales et elles doivent certainement nous rendre prudents dans la comparaison entre licence globale et droit de prêt en bibliothèque. Il me semble que ces développements étaient importants pour éviter de tomber dans un faux débat, faute d’avoir su distinguer de faux amis. Cependant, ces réserves prises en compte, il ne me semble pas que le débat lancé par les bibliothécaires que j’ai cité plus haut soit un faux débat. Bien au contraire ! C’est peut-être même le débat le plus fondamental auquel notre profession devra faire face dans les prochaines années.

Et au coeur du débat repose cette question : les bibliothécaires doivent-ils à titre professionnel se positionner en faveur de la licence globale ? La réponse est loin d’être simple.

La licence globale converge certainement avec les valeurs fondamentales de la profession de bibliothécaire, à savoir favoriser un accès le plus large possible des biens culturels pour les citoyens. Silvère Mercier se place sur ce terrain pour militer pour la licence globale au nom de l’avènement d’une nouvelle ère de l’abondance :

[...] si nous sommes en faveur de la libre diffusion culturelle, si nous le sommes vraiment, alors le “piratage” n’est pas un obstacle à notre activité mais une chance, celle de voir ce pourquoi nos établissements existent être amplifié et favorisé à une échelle mondiale. Ainsi, il ne faut pas se “défendre” contre la “bibliothéconomisation” de la société, mais comprendre qu’il faut changer d’ère.

Ce à quoi s’ajoute l’idée d’exception culturelle, fondement de l’existence des bibliothèques, qui est mise en avant par Patrick Bazin :

Les enjeux sont les mêmes. La bibliothèque est un lieu ouvert à tous, sans distinction d’aucune sorte, et d’accès gratuit. Son offre est potentiellement non sélective, c’est-à-dire que comme Internet, elle n’est pas prescriptive. Chacun y lit ce qu’il veut. Cette liberté totale d’accès est fondamentale. Elle participe de la logique de service public [...] Personnellement, j’ai toujours refusé l’idée d’un paiement à l’acte. L’acte de lecture en bibliothèque est totalement déconnecté du coût des livres. C’est un acte purement culturel. Cette différence est fondamentale.

Ce sont pour ces raisons, qu’à titre personnel, je suis favorable à la licence globale et contre le maintien artificiel d’un modèle de rareté des biens culturels qui n’a plus de sens à l’heure du numérique.

Un autre argument militerait pour une adhésion au modèle de la licence globale et de l’abondance. Pour maintenir le système de la rareté des biens, gouvernements et lobbies des industries culturelles sont obligés de mettre en place des systèmes de protection de plus en plus répressifs et attentatoires aux libertés publiques, de manière à sauvegarder l’offre légale contre ce qu’ils appellent “le piratage”. Avec les lois Hadopi et demain LOPPSI, nous en arrivons au stade où le téléchargement est peu à peu assimilé à des actes aussi graves que le terrorisme ou la pédophilie, justifiant une atteinte aussi forte aux droits et libertés. Et les conséquences pour les bibliothèques se font de plus en plus menaçantes : la loi Hadopi prépare à mon sens l’avènement d’un Patriot Act à la française qui mettra les bibliothèques et leurs usagers sous contrôle, au nom de la protection du droit d’auteur. Et l’on voit aussi poindre un danger d’atteinte très grave au principe de neutralité du web par le biais du filtrage a priori des sites dits illégaux (voir ici pour les conséquences de la loi Hadopi sur les bibliothèques et là pour la question du portail blanc en bibliothèque).

Dès lors, à titre professionnel, nous avons certainement intérêt à nous positionner pour la licence globale, qui porte en elle la promesse que nous pourrons sortir un jour de cette spirale absurde de la répression et de la surveillance.

Ajoutons à cela que ne pas militer pour la licence globale, c’est ipso facto faire confiance à l’offre légale de contenus numériques en bibliothèque. Or de ce point de vue aussi, le système actuel est encore très imparfait, voire même préoccupant. Dans de nombreux domaines, les fournisseurs soit développent des offres qui ne correspondent pas à nos besoins, soit ne prévoient pas du tout d’offres en direction des bibliothèques. Ce qui s’est passé pour la musique est très significatif : le retard de l’offre légale de musique numérique a entraîné une marginalisation progressive des médiathèques sur ce type de contenus, au point que la question de l’avenir même des discothèques est actuellement posée. Même s’il existe des pistes de réflexion et des progrès en matière d’offres légales, on peut craindre que les mêmes mécanismes ne se reproduisent pour les autres types de contenus (voir ici pour un premier état de la réflexion sur l’offre légale de contenus en direction des bibliothèques et ici pour un point spécial sur les livres numériques).

Dès lors, si l’offre légale ne suit pas, les bibliothécaires n’ont aucun intérêt objectif à favoriser le maintien de ce système. D’un point de vue stratégique, il serait plus rationnel de pencher du côté de la licence globale et de l’abondance des biens. Il faut d’ailleurs bien avoir conscience que les bibliothèques ont toujours été partie intégrante du système de la rareté des biens culturels et la question se pose aujourd’hui à nous de savoir si nous voulons continuer à rester des rouages dociles de cette logique, quand bien même elle menace de nous étouffer à terme.

Mais les choses ne sont pas si simples, car la licence globale comme je l’ai dit plus haut, c’est aussi à terme l’avènement d’un modèle de désintermédiation, dans lequel la place des bibliothécaires est loin d’être assurée. Sur les blogs, il y a longtemps que l’on s’attache à penser sans tarder cette transition, à repositionner les bibliothécaires sur d’autres fonctions (prescription, recommandation, signalement, veille, etc) et à forger de nouveaux concepts et modèles théoriques pour accompagner le changement (re-documentarisation, etc). Mais dans la réalité de nos établissements, qu’en est-il ? Soyons un moment lucides … Sommes-nous prêts à redéployer complètement nos personnels et nos services, en abandonnant des activités comme l’acquisition, la mise à disposition de documents ou le prêt ? Sommes-nous prêts à repenser complètement l’affectation de nos espaces physiques et à bouleverser tout autant nos services en ligne ? Et que se passera-t-il au niveau des élus et des pouvoirs publics ? Quelle légitimité les services de bibliothèques pourront-ils invoquer pour justifier leurs crédits (voire leur existence) dans un contexte d’abondance des biens culturels ?

Notre métier est-il prêt à faire le grand saut qu’implique la licence globale ?

Je n’ai pas écrit ce billet dans une intention polémique, mais parce que je ressens depuis longtemps une sensation désagréable de tiraillement au sujet de la licence globale :

  1. Convaincu à titre personnel que ce modèle est l’avenir de la diffusion culturelle et un bien irremplaçable pour l’intérêt général ;
  2. Soucieux à titre personnel et à titre professionnel des atteintes de plus en plus graves aux libertés publique qui se perpétuent au nom de la défense de l’offre légale contre le téléchargement, et qui peuvent avoir des répercussions inquiétantes sur le fonctionnement des bibliothèques ;
  3. Très sceptique à titre professionnel concernant l’avenir de l’offre légale, qui porte en elle le germe de la répression, et effrayé par le fait que certains fournisseurs  continuent à nous oublier purement et simplement (voire  peut-être même intentionnellement …) ;
  4. Mais pas certain du tout, à titre professionnel, que les bibliothèques françaises soient dans l’état actuel des choses en mesure de supporter un passage à la licence globale, sans courir de gros risques.

A titre de conclusion de ce billet bien trop long, je pense qu’il faut donc continuer à débattre de cette question, qui ne relève pas du tout de la science-fiction. Tôt ou tard, la licence globale finira par s’imposer. La loi Hadopi est si mal pensée qu’elle n’empêchera pas la poursuite du piratage à une échelle massive et l’érosion concomitante des revenus  des majors. Les industries culturelles finiront par se rendre compte que la seule alternative réside dans la mise en place d’un nouveau modèle économique. Et comme les pouvoirs publics n’ont pas su anticiper à temps ce virage essentiel, il y a tout lieu de penser que l’instauration de la licence globale se fera dans la douleur et dans des conditions regrettables d’improvisation législative.

A ce moment, il faudra que les bibliothécaires soient prêts à prendre position collectivement sur cette question pour se faire entendre… et pas seulement au nom de convictions personnelles, mais sur la base d’un argumentaire professionnel solidement étayé.

En se gardant d’assimiler un peu trop rapidement des choses qui entretiennent seulement des rapports d’analogie …

(PS important : je rappelle que les propos tenus sur ce blog le sont à titre strictement personnel et n’engagent ni l’établissement qui m’emploie, ni les associations auxquelles j’appartiens).

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