OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le lonely planet des jihadistes http://owni.fr/2012/05/15/le-guide-du-routard-des-jihadistes/ http://owni.fr/2012/05/15/le-guide-du-routard-des-jihadistes/#comments Tue, 15 May 2012 18:20:54 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=110306

“Prenez soin de vos pieds et lavez-les correctement.” Dans son testament, Samir Khan, l’un des leaders d’Al Qaida pour la Péninsule arabique (AQPA), livre conseils et recommandations pour mener un jihad convenable. Un retour sur expérience en anglais, découpé en douze courts textes, avec un graphisme soigné, illustré de photographies couleurs. Le petit précis à l’attention de ceux (en Occident) qui veulent mener le jihad (au Yémen, dans les zones tribales et ailleurs) est écrit par Samir Khan, un américain d’origine pakistanaise, tué en septembre dernier dans une frappe de drones de la CIA. La même frappe dans laquelle le chef de la branche, Anwar Al-Awlaki, avait péri.

Presque huit mois plus tard, le 14 mai, les organes de communication d’AQPA se sont fait l’écho du testament de Samir Khan, ciblant explicitement un public occidental. Comme la revue Inspire dont Samir Khan était l’un des principaux artisans, Expectations Full est écrit en anglais. Comme Inspire, sa présentation se veut soignée. D’après ses propriétés, le document au format pdf a été confectionné sur Adobe InDesign CS5, dernière version du logiciel de la prestigieuse série de graphisme du fabriquant Adobe.

“A must read”

Dès l’introduction, rédigée par l’équipe médiatique d’AQPA, les auteurs précisent, en forme d’avertissement, l’origine de celui qui écrit, un musulman occidental :

Certaines choses n’auraient pas été écrites de cette façon si l’auteur ne venait pas lui-même d’Occident.

Samir Khan lui emboite le pas et prévient dans les premières lignes qu’il s’adresse en priorité aux “musulmans qui viennent d’Occident” pour qui ce document “est à lire absolument”. De fait, Samir Khan les cible directement, les avertit, et les dorlote. Avec force de détails et d’attention, il raconte comment se préparer au jihad en passant en revue douze thématiques intitulées : “la propreté”, “d’une base à l’autre”, “vivre à l’extérieur”, “c’est un secret”, “Pourquoi pas l’Occident ?”, “bombardement aérien”, “s’occuper des blessures”, “khidmah (service”), “camp d’entrainement”, “venir avec sa famille”, “politique intérieure”, “l’importance d’Adhkar (les invocations)”.

La revanche des drones

La revanche des drones

La semaine dernière, le chef du mouvement des Taliban au Pakistan aurait été tué par un drone américain qui survolait le ...

Samir Khan recommande aux candidats au jihad de s’habituer à la vie collective dans des espaces confinés. L’apprenti jihadiste devra passer une semaine ou plus “chez [lui], chez un ami, dans un hôtel ou motel, dans les montagnes ou dans une masjid [mosquée en arabe, NDLR]“. Interdiction d’utiliser son téléphone portable – sauf urgence – ou tout appareil électronique – sauf urgence aussi. En revanche, l’étude de “manuels militaires” imprimés au préalable et “les exercices de combats” sont fortement encouragés, de même que diverses tâches ménagères, comme “la cuisine et le nettoyage de vêtements”.

Sans chaussures ni duvet

Mener le jihad au Yémen ou en Afghanistan n’est pas une mince affaire, insiste Samir Khan. C’est dur, physiquement. “Dormir sur le sable, les cailloux ou l’herbe”, parfois “sans couvertures ou sacs de couchage”. “Parcourir nu-pieds dans les montagnes, en marchant sur des branches, des épines, dans la boue ou sur des cailloux pointus”. Le salut n’est donc pas dans la précipitation, mais dans la patience, valeur cardinale du bon jihadiste. Emphatique, Samir Khan écrit :

En résumé, prépare toi au pire et espère le meilleur.

Le pire : les bombardements aériens, “une expérience décisive dans une vie”, qu’ils soient le fait “d’avions de chasse, d’hélicoptères, d’avions furtifs [allusion aux drones, NDLR], de bateaux ou d’autres machins”. Il raconte l’une de ces attaques, utilisant des bombes assourdissantes. Le “moudjahid” (le combattant) se doit aussi de servir sa communauté de combattants comme elle le sert. Une partie est consacrée à ce point, avec une photographie d’un plateau de thé en fond. “Ne pense pas un seul instant que, parce que tu es étranger ou invité des moudjahidin, tu ne dois pas aider les frères” prévient Samir Khan. Il faut se proposer pour la cuisine et quelques autres activités du groupe, comme “creuser, nettoyer ou réparer”.

Il convient aussi de se prémunir contre “les mauvais djinns” qui travaillent avec des individus liés au “gouvernement apostat d’Arabie Saoudite”. De même que le gouvernement – lui aussi “apostat” – du Yémen, qui utilise le “sihr (la magie)” pour combattre les moudjahidin. “Néanmoins, par la grâce d’Allah, il y a beaucoup de bons djinns qui [nous] protègent et nous défendent” conclut Samir Khan, invitant les apprentis à ne pas négliger les invocations (“Adhkar”) avant la tombée de la nuit.

AOC Al Qaida

Son testament a reçu la validation de l’organe médiatique d’AQPA. Le document est estampillé Al-Malahem Media, sorte de label qui officialise la provenance de la propagande diffusée. En décembre dernier, Dominique Thomas, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, précisait le rôle de ces certificats :

À partir de 2004-2005 apparaissent les grands labels de communication : Al Andalous pour Al-Qaida au Maghreb islamique, Al malahem pour AQPA, Al Furqan pour l’Etat islamique irakien. Tous ces labels ont été utilisés pour diffuser les messages vidéos, sonores et la production écrite.

Des certificats AOC en somme, déclinés pour chaque branche régionale d’Al Qaida. Publicité est faite pour le pdf testamentaire, intitulé Expectations Full, sur des forums proches des milieux jihadistes. Le fichier en haute et basse définition est hébergé sur de nombreux sites de partage, comme souvent pour ces documents de propagande. Les miroirs permettent d’augmenter sa durée de vie en ligne, alors que les hébergeurs font la chasse à ces contenus radicaux.

Le jihad selon Twitter

Le jihad selon Twitter

Après les sites d'information et les forums spécialisés, les jihadistes investissent les réseaux sociaux, Twitter ...

Le jihadiste occidental en devenir doit enfin s’informer sur la situation politique intérieure du pays qu’il choisira. Avant de partir, il se renseignera sur les forces en présence au Yémen ou dans les zones tribales afghano-pakistanaises. Sur place, il ne dira rien de ses origines, ne posera pas trop de questions à ses camarades. Ces questions pourraient le rendre suspects auprès de ses co-combattants. Samir Khan, cyberjihadiste aux Etats-Unis avant de gagner les camps d’entraînement au Yémen en 2009, raconte en creux ce que d’autres ont dit en des mots plus crus devant la justice : les relations tendues entre les combattants venus d’Occident et les moudjahidin locaux.

Jihad local contre jihad occidental

Dans une affaire d’acheminement de combattants en Afghanistan et au Pakistan, jugée en France en février 2011, l’un des condamnés, Walid Othmani, était parti sur zone après avoir assidûment fréquenté des forums. Les conditions décrites dans le jugement entrent en résonance avec les avertissements du testament de Samir Khan. Walid Othmani était “cantonné à des tâches non-combattants comme la cuisine et en avait conçu du dépit” notent les magistrats dans leur jugement. Si bien que le cyberjihadiste sorti de son écran en était arrivé à se “demand[er] ce qu’il faisait là”.

Dans les zones tribales afghano-pakistanaises, avait-il expliqué aux enquêteurs, “les candidats qui venaient rejoindre les talibans afghans n’étaient pas les bienvenus auprès des Pachtounes, notamment pour des raisons culturelles de méfiance à l’égard des « arabes », a fortiori lorsqu’ils étaient, comme eux, occidentalisés”, rapporte le jugement. Plusieurs familiers de ces affaires confirment un climat de suspension et de tensions entre jihadistes occidentaux et jihadistes locaux. Samir Khan le suggère lui même, dans des termes choisis :

On vous demandera certainement pourquoi vous n’avez pas mené le jihad chez vous. Ils ne vous renverront pas dans votre pays, mais laisseront cette option ouverte au cas où vous changeriez d’avis et décidiez d’attaquer l’ennemi chez vous.

Dans la section dédiée, intitulée “Pourquoi pas l’Occident”, Samir Khan incite ses lecteurs à mener le jihad chez eux, c’est à dire en Europe et aux États-Unis. En fond visuel, une photographie du pont de Brooklyn à New-York et des conseils de l’auteur : “Je recommande fortement à tous les frères et soeurs venant d’Occident de penser à attaquer l’Amérique dans son arrière-cour. L’effet est bien plus grand”. En guise de conclusion, son testament se termine par cette phrase :

Aussi, maintenant que vous savez ce qui vous attend, vous pouvez faire la comparaison avec le jihad en Occident, peser le pour et le contre, prendre une décision.

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Femmes et Révolutions http://owni.fr/2011/03/10/femmes-et-revolutions/ http://owni.fr/2011/03/10/femmes-et-revolutions/#comments Thu, 10 Mar 2011 12:26:37 +0000 Guillaume Mazeau http://owni.fr/?p=46872 Ndlr: Billet publié sur owni le 17 février 2011. Rendez-vous le 22 mars pour la Nuit-Sujet Owni/Radio Nova sur le thème “Dégage” autour de la mise en réseau du monde et de son impact politique global.

Basta Berlusconi !

Dimanche 13 février, des milliers d’Italiennes sont descendues dans la rue contre leur Premier ministre, dont l’interminable « saga priapique » renvoie une image virile du pouvoir et réduit les femmes à des objets sexuels.

Cette manifestation remet en cause les idées reçues sur la place des femmes dans la société européenne, mais pas seulement. S’inspirant des « Ben Ali, dégage ! » et des « Mubarak, dégage ! », criés depuis plusieurs semaines par les femmes tunisiennes et égyptiennes, les Italiennes démontrent que depuis quelques semaines, les modèles politiques et sociaux ne circulent plus dans le même sens par-delà les rives de la Méditerranée.
Les mouvements qui secouent la Tunisie, l’Egypte, l’Algérie mais aussi la Jordanie et le Yémen incitent à revoir les clichés occidentaux sur la sujétion des femmes dans les pays arabes.

Remise en cause de la domination masculine

Dans l’histoire, les crises, en particulier les guerres et les révolutions, ont souvent engendré une remise en cause de la domination masculine. La vague révolutionnaire qui secoua l’Atlantique il y a deux cents ans fut en grande partie animée par des femmes souvent privées de tout droit. Elles y gagnèrent un peu, espérèrent beaucoup mais virent la parenthèse se refermer après les premiers moments d’enthousiasme. Pour les femmes, les révolutions américaine et française du 18e siècle se finirent en queue de poisson.

Aux Etats-Unis, aucune des nouvelles constitutions d’Etat ne leur accorda le droit de vote, sauf au New Jersey… jusqu’en 1807.
En France, on voulut terminer la révolution en imposant une nouvelle barrière des sexes : après thermidor an II (juillet 1794), le citoyen modèle sur lequel on entendit reconstruire la société était le père de famille et le bon mari. Depuis quelques jours, certaines Egyptiennes paient le prix fort pour s’être, pendant quelques jours, émancipées des conventions sociales.

Certaines formes de mobilisation féminine du “printemps arabe” semblent révéler des invariants intemporels. Comme les Françaises des journées d’Octobre 1789, une partie des femmes du Maghreb se sont mobilisées contre le prix du pain. Comme les patriotes américaines qui rejoignaient les campements de l’armée révolutionnaire pendant la Guerre d’Indépendance entre 1775 et 1783, certaines Cairotes se sont employées à soigner les blessés de la place Tahrir.
Aux yeux des hommes, ces actions sont rassurantes : les femmes de tout temps et de tout pays sont ainsi réduites à des vertus nourricières et curatives, associées à l’ « éternelle » fonction maternelle.

De ce point de vue, ce qui se trame en Tunisie ou en Egypte est radicalement différent. Celles qui prennent la parole à Tunis, Le Caire, Suez ou Alexandrie, vivent certes sous le joug de la domination masculine. Mais elles ne sont pas les femmes du 18e siècle, qui étaient totalement privées de droits. N’en déplaise aux visions occidentales, les Tunisiennes et Egyptiennes ont vu leur statut lentement s’améliorer depuis les années 1920, en partie depuis les mobilisations féminines de la « première révolution » égyptienne de 1919.

Plus alphabétisées que les femmes du Siècle des Lumières, diplômées, plus politisées mais aussi plus intégrées à la société civile, beaucoup de maghrébines, encadrées par des associations comme l’Association des Femmes Démocrates en Tunisie ou inspirées par des avant-gardes comme Nawal El Saadawi en Egypte, ne défendent pas seulement leurs acquis. Elles revendiquent aussi le droit de participer à la vie civique et au débat politique.

Femmes et Islamisme

Faut-il voir en elles les chevaux de Troie de l’islamisme ? Le point de vue laïc et très franco-français aide aussi peu à comprendre le passé que le présent. Certes, des Vendéennes catholiques de la fin du 18e siècle aux manifestantes voilées de la place Tahrir, certaines femmes, très impliquées dans la religion et donc dans la vie sociale, se mobilisent parfois au nom de leur foi.
Pourtant, cela ne veut évidemment pas dire qu’elles ne défendent aucune opinion politique et qu’elles sont systématiquement manipulées par les « fous de Dieu ».

Comme l’indique le politologue Olivier Roy , l’évolution de la place des femmes au sein de la « société  post-islamiste » ne se réduit évidemment pas à un combat entre laïcité et intégrisme.
Si des milliers de Tunisiennes redoutent que leurs droits soient remis en cause par le retour du leader islamiste Ghannouchi, nombre d’entre elles entendent aussi pouvoir exprimer leur liberté de conscience sans subir le regard des autres lorsqu’elles portent le voile.

Jeunes ou âgées, qu’elles défilent en tête nue ou en hijab, les « Femmes du Caire », dont Yousry Nasrallah décrivait en 2010 les désirs d’émancipation dans un film engagé,ne peuvent donc être observées avec les clichés historiques ou sociaux que les experts occidentaux ont tendance à leur appliquer. C’est ce qui donne à leur mobilisation toute sa modernité.

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Publié initialement sur le blog Les lumières du siècle sous le titre : Femmes du Caire
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Crédits photos via Flickr [cc-by-nc-sa] 3arabawy, enseignantes et jeune femme sur Tahrir Square

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Yémen: l’effet domino? http://owni.fr/2011/02/04/yemen-manifestations-tunisie-egypte-effet-domino/ http://owni.fr/2011/02/04/yemen-manifestations-tunisie-egypte-effet-domino/#comments Fri, 04 Feb 2011 14:22:55 +0000 marine poirier http://owni.fr/?p=45286

Les mobilisations du 3 février au Yémen ont rassemblé des centaines de milliers de Yéménites à travers le pays. Corroborent-elles l’hypothèse d’une « contagion » des révoltes tunisienne et égyptienne à la seule République de la péninsule Arabique ? Si les protestations en sont solidaires, elles s’inscrivent pourtant dans des dynamiques internes spécifiques au champ politique yéménite.

Jeudi matin à Sanaa, des milliers de personnes se sont rendues aux portes de l’université pour demander le changement, la réforme du système politique et la lutte contre la corruption, voire, de façon plus minoritaire, le départ immédiat du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978. La dynamique protestataire yéménite n’est évidemment pas étrangère aux développements politiques régionaux. Les manifestants, qui rendent hommage et expriment leur soutien aux peuples tunisien et égyptien, semblent en effet fortement inspirés par le « gouffre immense dans le mur des dictatures arabes » occasionné, selon un journaliste local, par la chute de Ben Ali. En témoigne également la reprise par certains groupes des slogans scandés par les foules en Tunisie et en Égypte, relevés par la presse yéménite et diffusés en boucle sur les chaines satellitaires arabes au cours des dernières semaines : « Dégage », « Le peuple veut faire tomber le système » ou encore « Dehors les corrompus ».

Le Yémen, unique République de la péninsule arabique

Source: Wikimedia Commons

Pourtant, il ne semble pas inutile de rappeler les singularités de la configuration yéménite afin de ne pas comparer hâtivement ni de confondre des situations fortement contextualisées et évolutives. Née de l’unification en 1990 de la République Arabe du Yémen (au nord) et de la République Démocratique et Populaire du Yémen (au sud), la République du Yémen a longtemps représenté une exception à l’échelle du monde arabe. En effet, le processus démocratique engagé au lendemain de l’unité s’est traduit par l’essor des partis et organisations de la société civile ainsi que d’une presse libre, et l’organisation d’élections pluralistes en 1993.

Or, cette expérience est rapidement remise en question suite à la guerre de 1994 (qui voit les unionistes triompher de l’élite sécessionniste au sud) par la monopolisation du pouvoir par le président Saleh et son parti, le Congrès Populaire Général (CPG). Depuis, le contexte de la lutte contre le terrorisme a favorisé un recours plus systématique à la répression, alors même que le régime privilégiait historiquement l’intégration des forces politiques réelles, et notamment des islamistes. Malgré le déclin du pluralisme et le rétrécissement des libertés, le Yémen se distingue encore aujourd’hui par le pluralisme et le dynamisme de sa société civile, notamment « traditionnelle » (tribale et religieuse), qui représente à de nombreux égards des freins aux ambitions centralisatrices de l’Etat.

Aujourd’hui, le Yémen se trouve face à de nombreux défis économiques, politiques et sociaux, mais aussi énergétiques, démographiques et identitaires. Avec la dégradation du niveau de vie et la hausse du chômage, d’importants segments de la société yéménite sont marginalisés (le taux de chômage approcherait de 50% chez les jeunes, qui représentent plus de 75% d’une population de presque 24 millions d’habitants). La persistance de la guerre à Saada au nord du pays, qui oppose depuis 2004 les partisans du renouveau zaydite (chiite) à l’armée nationale, la poussée contestataire et sécessionniste dans les gouvernorats de l’ex sud Yémen, ou encore la multiplication des actions des mouvements affiliés à Al-Qaida, soulignent la multiplicité des fronts de l’opposition au régime du président Saleh. Ces facteurs d’instabilité et de violence représentent des sources majeures d’insécurité pour les Yéménites.

Des mouvements marqués par le contexte politique local

Ainsi, bien plus que l’effet des soulèvements dans la région, les manifestations récentes témoignent d’un mécontentement populaire lié à une situation complexe. Elles s’inscrivent surtout dans une bataille pré-électorale entre le parti au pouvoir, le CPG et la coalition des partis d’opposition, la Rencontre Commune, qui rassemble depuis une dizaine d’années des partis de la gauche nationaliste arabe et socialiste et plusieurs partis islamistes. En effet, depuis les dernières élections présidentielles en 2006, la Rencontre Commune, confortée dans son rôle d’opposant, est partie prenante du dialogue avec le CPG en vue d’une réforme de la loi électorale et de la constitution yéménite devant assurer davantage de transparence aux prochains scrutins. Les espoirs nés de cette première présidentielle concurrentielle sont rapidement déçus : le dialogue interpartisan n’aboutit pas aux réformes promises mais entraine une impasse politique majeure qui paralyse et polarise depuis plusieurs années la scène politique. Les élections parlementaires, initialement prévues en 2009, sont reportées à 2011 suite à une campagne de boycott de l’opposition qui refuse de s’y engager sans l’assurance des réformes électorales escomptées. En décembre dernier, suite à l’échec de nombreuses tentatives de conciliation avec l’opposition, le CPG se lance seul dans la compétition électorale et organise ses premiers rassemblements à travers le pays.

C’est en réponse au lancement de cette campagne électorale ainsi qu’à l’annonce d’amendements à la constitution (devant permettre au président d’être candidat à sa propre succession de façon illimitée) que la Rencontre Commune des partis d’opposition s’engage dans sa propre campagne, celle du boycott du scrutin et des projets de réforme du CPG, avec le soutien plus ou moins explicite de la communauté internationale. La mobilisation nationale du 3  février est venue conclure la première étape de ce programme de protestations, initié le 15 janvier dernier. Le président Saleh s’est engagé la veille de ces manifestations à ne pas se représenter aux prochaines élections et à ne pas transmettre la présidence à son fils Ahmad, annonçant également l’annulation des élections d’avril prochain et appelant l’opposition à reprendre les négociations.

Ces concessions, ainsi que l’annonce de la hausse des salaires des agents de la fonction publique et des forces de sécurité, et de la création d’un million d’emplois, n’ont eu que peu d’effets sur les partis d’opposition. Ces derniers ont préféré poursuivre leur programme, exhortant le pouvoir à une réforme complète du système politique. Les rassemblements se sont déroulés en accord avec les autorités yéménites et sans trop de violences, malgré des affrontements, dans le port d’Aden notamment. Ils ont pourtant vu la mise en place d’un important dispositif sécuritaire (encadrement policier, hélicoptère de surveillance mais aussi restrictions à la mobilité et intimidations). Les partisans du CPG ont organisé, quant à eux, des contre-manifestations de soutien au président, s’appropriant à Sanaa l’espace initialement prévu pour l’opposition.

Si la stratégie des partis de la Rencontre Commune n’est pas toujours très claire et cohérente, il semble peu probable que ses leaders optent pour une stratégie plus offensive. Eux mêmes fortement intégrés aux réseaux du pouvoir, ils semblent privilégier l’option d’une transition pacifique et progressive du pouvoir, à travers la réforme des institutions yéménites et des élections libres et transparentes. Ils ont donc tout avantage à canaliser les mécontentements populaires et s’en faire le porte-parole légitime. Cette politique n’est évidemment pas accueillie favorablement par tous, notamment au sud, mais aussi à Sanaa, où à la tombée de la nuit, des dizaines de jeunes poursuivent leurs protestations devant l’université.

Contrairement aux rassemblements de la matinée du 3 février, largement médiatisés et relativement réservés vis-à-vis du régime, les manifestants demandent expressément le départ du président et dénoncent les partis politiques dans leur ensemble, qu’ils considèrent incapables de soutenir leurs revendications.

Photographies par Jameel Subay

Carte du Yémen sur  Wikimedia Commons par Eric Gaba (CIA World Factbook)

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Lutter contre la Cyber-Censure http://owni.fr/2010/03/12/lutter-contre-la-cyber-censure/ http://owni.fr/2010/03/12/lutter-contre-la-cyber-censure/#comments Fri, 12 Mar 2010 15:18:56 +0000 Stéphane Favereaux http://owni.fr/?p=9961

Ce vendredi 12 mars met en avant lors de la journée mondiale de lutte contre la cyber-censure, la bataille pour la liberté d’information. Depuis que le Net s’ouvre au monde, les pays les moins démocratiques ou ceux se prétendant démocratiques tendent à renforcer le contrôle sur l’information. Face à ces états censeurs, dictatoriaux ou fut un temps réellement démocratiques, il appert que la capacité de mobilisation des net-citoyens, des anarnautes, des tenants de la Netopie, s’accroît en faisant tomber les frontières des états.

Chaque citoyen soumis à la censure ou que les états veulent faire taire devient un relais d’informations permettant au monde entier d’être mis face aux dérives des régimes autoritaires, il n’est qu’à penser à la Révolution Twitter en Iran… Malheureusement, quelques rares pays, la Corée du Nord, la Birmanie, le Turkménistan voire Cuba coupent totalement l’accès au Web prétextant un manque de moyens techniques et un moindre développement des infrastructures. De fait, nous assistons à une explosion du marché noir des télécommunications, notamment à Cuba, en Chine ou en Corée du Nord…

censure

Le marché de la construction des prisons devrait aussi s’accroître puisque près de 120 blogueurs, internautes, cyberdissidents sont enchristés pour avoir eu la désobligeance de s’exprimer librement.

- Au Maroc, pays ami de la France, le délicieux Mohammed 6, pire encore que son père, mais n’ayant pas encore systématisé la surveillance du Web, maintient en détention un blogueur et un propriétaire de cybercafé pour avoir permis la publication ou publié des propos anti-Mohammed 6, notamment sur la répression d’une manif ayant mal tourné.

- Adnan Hadjizade et Emin Milli, blogueurs Azerbaïdjanais sont sous les verrous pour avoir tourné en dérision les autorités locales et les avoir ridiculisé dans une vidéo sur You Tube.

- Au Yémen, quatre journalistes sont actuellement derrière les barreaux pour des raisons similaires…

Et la liste pourrait être longue encore des exactions commises sous couvert politique. RSF publie donc ce rapport à l’occasion de cette journée de lutte et rallonge également la liste des pays ayant mis le Web sous surveillance : la Turquie et la Russie en font dorénavant partie.

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Si seuls les régimes autoritaires étaient initiateurs de cette surveillance du Web, les pays libres les rejoignent et les moyens de surveillance évoluent. Censure et intimidations, pressions étatiques et légales se démultiplient… 60 pays censurent « officiellement » le web en 2009, soit deux fois plus en qu’en 2008…

Filtrage, fichage, fermeture de blogs, de sites de dissidents, d’opposants aux régimes de ces 60 pays… les moyens techniques se mettent au service de la volonté de faire en sorte que le Web la ferme purement et simplement. Arrestation torture, intimidation des journalistes, des dissidents, des blogueurs, des entourages (notamment au Maroc), des familles…

RSF précise que « Les plus grandes prison du monde pour les net-citoyens sont la Chine, largement en tête avec 72 détenus, suivie du Viêt-nam et de l’Iran, qui ont lancé ces derniers mois des vagues brutales d’arrestation. »

Quand la démocratie censure…

Si l’on évoquait jusqu’alors les dictatures, monarchies absolues et autres régimes staliniens, ceux-ci ne sont pas les seuls à vouloir surveiller le Net. La Corée du Sud tente de mettre un terme à l’anonymat sur la toile, l’Australie est en train de se doter d’un système de filtrage total du Web.

Au niveau supranational, les discussions actuelles menées sous secret défense par 39 états ne vont guère aller dans le sens des anarnautes, des opposants. ACTA destinés à lutter contre la contrefaçon se négocie sans la moindre concertation avec les ONG, sans aucun rapprochement avec les acteurs du Web. La Communauté européenne à beau s’opposer à cette confidentialité par un vote très largement majoritaire, les passions ne s’apaisent pas face à un accord qui pourrait instaurer la surveillance du Web dans 39 pays dont on prétend qu’ils sont démocratiques. Ces mesures liberticides potentielles passeraient par un filtrage du Net sans qu’aucune décision de justice n’ait à être prise.

rsf

Les législations répressives sont de plus en plus systématiques : Jordanie, Irak, Kazakhstan, Australie, Grande-Bretagne, France… cette liste est longue et peut inquiéter… Voir accoler dans une même liste des états totalitaires et des démocraties ne laisse guère planer de doutes quant aux volontés de contrôle que tout état veut sur cet espace de liberté qu’est le Web.

Face à ces volontés sécuritaires, le rapport de RSF précise cependant que « En Finlande, le décret n°732/2009 fait de l’accès à Internet un droit fondamental pour tous les citoyens. En vertu de ce texte, chaque foyer devra bénéficier d’une connexion d’au moins 1 mégabit par seconde au 31 juillet 2010. D’ici 2015, elle devra être d’au moins 100 mégabit par seconde. De son côté, le Parlement islandais examine à l’heure actuelle une proposition de loi ambitieuse, “Icelandic Modern Media Initiative” (IMMI), destinée à protéger les libertés sur Internet, en garantissant la transparence et l’indépendance de l’information. Si elle est adoptée, l’Islande deviendrait un paradis cybernétique pour les blogueurs et les citoyens journalistes »

Les blogueurs s’associent…

Partout sur la planète Web, les associations de blogueurs se développent en cyber-mouvements de lutte, d’échanges de fichiers, de techniques permettant aux iraniens d’utiliser des proxies destinés aux dissidents chinois, etc. Idem dans les 60 pays de la liste RSF… la résistance sur le Web s’organise. Et la résistance, ça marche ! En Russie, le média le plus libre est le Net, en Italie, on n’en est pas loin malgré les tentatives de Berlusconi de faire taire les blogueurs opposants, en France non plus, nous n’en sommes pas très loin ! RSF précise aussi que « L’Arabic Network for Human Rights Information estime à 10 000 le nombre de blogs actifs, en arabe et en anglais, dans le pays. ». Les trônes dictatoriaux se fragiliseront… gageons le.

Cette journée de lutte contre la cyber-censure ne doit en aucun cas être une mobilisation d’une journée, elle doit être un combat de chaque jour où les démocrates, à défaut des démocraties, doivent soutenir les dissidents, les opposants enchristés pour avoir voulu défendre leurs libertés fondamentales, leur liberté d’expression.


Photo par Cayusa (CC-by-nc)

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