OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le consulat de Total au Canada http://owni.fr/2012/03/01/le-consulat-de-total-au-canada/ http://owni.fr/2012/03/01/le-consulat-de-total-au-canada/#comments Thu, 01 Mar 2012 18:50:25 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=100299

Inauguré le 5 août 2010 dans la province d’Alberta, égarée dans les grands espaces canadiens, le consulat français de Calgary a hérité d’un doux surnom : “le consulat Total”. Seule représentation de Paris créée depuis 2009 en dehors des Etats nouvellement indépendants, ce bureau dessert un territoire où les Français sont encore rares mais dont le géant pétrolier convoite les ressources en hydrocarbures : dans la région de l’Athabasca, Total a obtenu des autorisations pour exploiter les sables bitumineux, gisements à l’exploitation ultra polluante d’hydrocarbures lourds. Une perspective dont le ministère des Affaires étrangères français a tenu grand compte au moment d’installer cette représentation exceptionnelle.

Un réseau consulaire “à l’os”

Au regard de la communauté française au Canada, la création d’une antenne à Calgary se justifiait peu : là où l’on compte plus de 10 000 Français à Vancouver et Québec et 50 000 à Montréal, la capitale de l’Alberta ne réunit que 1 650 expatriés. Trois fois moins que Vancouver qui disposait déjà d’un consulat général, offrant tous les services nécessaires aux ressortissants.

Au Quai d’Orsay, certains agents se sont étonnés de la création d’un consulat à Calgary. D’autant plus que, selon une expression fort peu diplomatique du rapport sur l’action extérieure de l’État dans le cadre du projet de loi de Finances 2012, le réseau consulaire mis à la diète par l’application de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) est désormais “à l’os” du fait des réductions d’effectifs. Le sénateur socialiste Richard Yung pousse même le constat un peu plus loin :

Nous ne sommes même plus à l’os : ça commence à craquer ! Les effectifs ont été tellement réduits que les consulats ne reçoivent désormais plus que sur rendez-vous et que la moindre tâche administrative de base prend trois semaines. La question que nous posons avec ce rapport, c’est de savoir s’il faut maintenir un tissu aussi dense : à Los Angeles, par exemple, il y a un consulat d’Allemagne, un pour l’Italie, un autre pour la France… Alors qu’ils passent leur temps à délivrer des visas Schengen. Tout cela pourrait être fait par un consulat Schengen unique.

A Calgary, le problème ne se pose pas : si la Grande-Bretagne projette d’y installer une représentation en 2012, la France est pour l’instant le seul État européen à disposer d’un bureau. Total a, en cela, précédé son concurrent britannique BP dans le lobbying auprès de son pays d’origine.

“Consulat d’influence”

Installée depuis 2008 à Calgary, la filiale Total E&P Canada a été, selon un source diplomatique, fort déçue de la décision de Paris d’en faire un consulat d’influence, et non un consulat général. Ce statut ajoute à la présence diplomatique toute la panoplie des services qui facilitent la vie des expats (visas, papiers administratifs…).

Au vu du potentiel des sables bitumineux d’Athabasca, et malgré l’impact écologique désastreux de leur exploitation dénoncé par de nombreuses ONG, le groupe français a mis de gros moyens pour développer son ancrage canadien. Perspectives d’investissements : 20 milliards de dollars canadiens et 1 500 salariés sur place à l’horizon 2020 pour diversifier les sources d’approvisionnement en pétrole brut. Une somme qui ne comprend pas que la location des locaux et le paiement des salaires.

Gymnase Total au lycée français

En plus d’une bourse à l’école d’ingénierie de Calgary, la société a pris à sa charge 1,2 millions sur les 7 millions de dollars canadiens qu’a coûté l’extension du lycée français de Calgary, Louis Pasteur, dont le gymnase porte désormais le nom de “Gymnase Total E&P Canada”. Elle finance aussi à hauteur de 200 000 dollars canadiens un programme de la faculté de sciences de l’université de Calgary. Les dirigeants du groupe auraient activement plaidé pour l’implantation du consulat, sujet abordé selon un habitué du Quai d’Orsay, “à l’occasion des visites que font les dirigeants des multinationales françaises au ministère des Affaires étrangères”.

Chantage au pétrole sale

Chantage au pétrole sale

Gros exportateur de carburant issu des sables bitumineux, le Canada est visé par une directive sur la qualité de l'énergie ...

Mais l’intérêt stratégique et politique n’est pas que celui de la firme pétrolière, nous assure un membre du corps diplomatique proche du dossier. Calgary est la ville d’origine de l’actuel Premier ministre du Canada, Stephen Harper, leader du parti conservateur diplômé en économie de l’université de la ville. Une ville qui a aussi donné naissance à l’équivalent canadien de “l’école de Chicago”, qui défend dans la branche conservatrice la dérégulation et la libéralisation de la plupart des secteurs de l’économie, dont le secteur de l’énergie.

C’est sous l’impulsion de cette mouvance que l’Alberta a facilité l’accès à ses ressources en hydrocarbures aux sociétés pétrolières étrangères. De son côté, le Premier ministre a été l’objet d’accusations de lobbying en faveur des gaz de schiste et sables bitumineux. Révélés par la branche britannique des Amis de la Terre, plusieurs échanges ont montré l’acharnement des autorités canadiennes pour torpiller la directive européenne sur la qualité des carburants, qui menaçait les exportations de pétrole d’Alberta vers le Vieux Continent.

Comme OWNI l’a rappelé dans un précédent article, Bercy avait poussé en faveur du gouvernement canadien dans ce combat, contre l’avis du ministère de l’Écologie. Et ce à la demande de Total. En installant une cabane au Canada pour plaider la cause du pétrolier français, le Quai d’Orsay offre la preuve que le leader du Cac 40 a plus d’un ministère dans son sac.


Photos sous licence Creative Commons par buliver et splorp/Flickr

]]>
http://owni.fr/2012/03/01/le-consulat-de-total-au-canada/feed/ 5
Grenelle totalisé http://owni.fr/2012/02/07/le-dernier-grenelle-est-tombe/ http://owni.fr/2012/02/07/le-dernier-grenelle-est-tombe/#comments Tue, 07 Feb 2012 10:46:27 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=97549

L'évacuateur à roue-pelle Krupp mesure 170 mètres et était utilisé pour déplacer les sables bitumineux.Fort McMurray Alberta Canada ©Thomas Ball/Picture Tank

Dans une relative discrétion, la Directive européenne sur la qualité des carburants a été lâchée le 2 décembre 2011 par Paris, trois ans après son adoption. Fruit d’un accord avec le Parlement européen qui avait été passé le 28 novembre 2008, cette directive (ou Fuel quality directive, FQD) prévoyait notamment d’augmenter le coût carbone du pétrole extrait par des méthodes polluantes. Une mesure favorable aux objectifs européens de réduction de gaz à effet de serre mais pas aux ambitions d’augmentation de l’exploitation des très nocifs sables bitumineux, poule aux œufs d’or du Canada et nouvel horizon de développement pour le géant Total. À la faveur de considération pécuniaires et d’un lobbying acharné, “l’esprit du Grenelle” a cédé aux calculs de Bercy.

Garde partagée

Jusqu’ici, la directive avait montré une résistance hors du commun aux tentatives de sape orchestrée par le gouvernement canadien. C’est en se tournant vers les grands groupes pétroliers européens qu’Ottawa a finalement trouvé l’oreille la plus attentive. Rappelés à leurs intérêts dans les sables bitumineux, BP et Shell ont démarché eux-même leurs gouvernements respectifs, garantissant le soutien de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas au travail d’élimination de cette mesure. De son côté, la France faisait bloc, du moins en apparence.

Mais le dernier remaniement ministériel a rebattu les cartes du jeu en matière de carburant. Échappant à Nathalie Kosciusko-Morizet (secrétaire d’État à l’Écologie durant la présidence française de l’Union européenne), le portefeuille de l’énergie est passé du développement durable à l’Industrie.

Pat McCormick devant un camion CAT 797, l'un des plus grands du monde, sur le gisement du Shell's Albian. ©Thomas Ball /Picture Tank

Même si la très puissante Direction générale de l’énergie et du climat (notamment en charge d’attribuer les permis d’exploration minière) est restée en garde partagée, entre les services chargés de l’énergie et ceux chargés de l’écologie . Or, c’est précisément à cet organe qu’était confiée la négociation sur la directive qualité des carburants, comme l’un de ses responsables nous l’a expliqué :

La DGEC est en charge de la définition de la position française sur les points essentiels, qui est validée par le ministère chargé de l’énergie et le ministère de l’écologie.

Sauf qu’à la veille de la réunion du Conseil européen du 2 décembre, rien ne va plus dans la famille. Le cabinet d’Eric Besson souhaite émettre des réserves sur cette fameuse directive tandis que celui de Nathalie Kosciusko-Morizet continue de la soutenir. Faute de position commune, les deux ministres se tournent vers le cabinet de François Fillon pour un arbitrage.

Cliquer sur la carte pour l'aggrandir (Source : Wikipedia)

Matignon tranche alors en faveur de Bercy. Lors de la réunion, les positions françaises changent alors du tout au tout. Paris s’inquiète soudain des modalités de calcul de ce renchérissement carbone, demande une étude du coût économique de la mise en œuvre de la mesure, s’étonne du caractère “discriminant” de la directive vis-à-vis des sables bitumineux… En un mot, la délégation récite à la virgule près l’argumentaire maison concocté par le pétrolier britannique BP pour son ministre des Transports.

La main de l’industrie

Au même titre que BP, Total est aujourd’hui un des principaux acteurs des sables bitumineux visés par cette directive. Le pétrolier français parie notamment sur des gisements en Alberta (Canada), qui représentent 20 milliards de dollars canadiens d’investissement et emploieront 1 500 personnes à l’horizon 2020. Même si l’Union européenne n’achète pas une goutte du pétrole de la région prolifique d’Athabasca pour l’instant, les acteurs du secteurs ne sont pas du genre à laisser insulter l’avenir. Interrogé par OWNI, le groupe nie avoir eu le moindre contact avec le ministère de l’Industrie :

Nous adhérons à une idée de réduction des émissions de gaz à effet de serre mais, en l’état, la directive n’est pas appropriée : elle stigmatise les sables bitumineux par rapport aux autres bruts sur la base de calculs erronés.

Pour évaluer les gaz à effet de serre dégagés au moment au l’extraction, la Directive européenne sur la qualité des carburants s’appuie, comme la plupart des mesures liées aux transports dans l’Union, sur des études “well-to-wheels”, c’est-à-dire “du puits [de pétrole] à la roue [de voiture]“. Or, dans ce cas comme souvent, le standard utilisé est le JEC, un sigle réunissant le Joint research center (centre de recherche de la Commission), EUCar (lobby européen de l’automobile) et Concawe… la réunion européenne des entreprises pétrolières ! Total critique donc des chiffres produits par son propre lobby au niveau européen.

aux usées. De l'eau est rejetée aprèsque le bitume ait été enlevé des gisements pétroliers. Cette eau contient tant de mercure et autres substances toxiques qu'elle ne peut être reversée dans la rivière de l'Athabasca dont elle provient.  ©Thomas Ball/Picture Tank

Eaux usées. De l'eau est rejetée après que le bitume ait été enlevé des gisements pétroliers. Cette eau contient tant de mercure et autres substances toxiques qu'elle ne peut être reversée dans la rivière de l'Athabasca dont elle provient. Alberta, Canada ©Thomas Ball / Picture Tank

Et six jours après le revirement de la France sur la directive sur la qualité des carburants au Conseil européen, la filiale Total Exploration et Production Canada recevait le dernier coup de tampon du gouvernement fédéral canadien pour exploiter des sables bitumineux sur les 221 km² du champs de Joslyn North Mine. Un enchaînement qui n’étonne guère un diplomate proche du dossier :

Dans ce secteur, tout se paie cash !

Argumentaires bitumineux

Interrogée par OWNI, la Direction générale de l’énergie et du climat avait confirmé qu’en plus de Bercy et de l’écologie, elle devait en référer au Quai d’Orsay quant à l’évolution de ce dossier. Pas de trace de Total dans ces préoccupations, seulement l’épineux accord de libre échange entre l’Union européenne et le Canada qu’Ottawa refusait de signer si Bruxelles s’acharnait à vouloir pénaliser son pétrole miraculeux. Au Quai d’Orsay, un diplomate confirme avoir reçu “des argumentaires des Canadiens sur les sables bitumineux”, documents sans rapport avec la teneur de l’accord mais qui faisaient le lien pour qui n’avait pas compris le chantage.

A 1000 km de la mer. Après que la forêt boréale ait disparu et que les goudrons aient été extraits du gisement, d'immenses dunes artificielles sont restées. Fort McMurray Alberta Canada ©Thomas Ball/Picture Tank

Grippée tout l’hiver par ces lobbying croisés, la directive rouille, voire se corrode : entre les réunions du 2 et du 19 décembre, Nathalie Kosciusko-Morizet a redemandé un arbitrage à Bercy, qui lui a de nouveau été défavorable. Pendant ce temps, au Conseil, Amsterdam détricote la directive consciencieusement, sous le regard de Juliette Renaud, qui suit le dossier pour les Amis de la Terre :

Les Pays Bas ont proposé de calculer une “moyenne globale des émissions” par pays, ce qui vide totalement la directive de son efficacité, puisque cela nécessite de nouveaux calculs pour chaque Etat et que les chiffres seront forcément lissés au final et empêcheront de favoriser la baisse de consommation de carburant très polluant.

La prochaine réunion sur la question est fixée au 23 février, “mais la Commission a déjà calé un autre rendez-vous fin mars, ce qui laisse entendre qu’il ne va rien se passer avant”, note Juliette Renaud. A la direction générale Changement climatique de la Commission européenne, c’est le silence, pas un mot tant que les négociations sont en cours.


Photos par ©Thomas Ball / Picture Tank,tous droits réservés. Reportage réalisé en 2007 dans la région de FortMcMurray, Alberta, Canada.

Carte de l’état d’Alberta via Wikimedia Commons (CC-by)

]]>
http://owni.fr/2012/02/07/le-dernier-grenelle-est-tombe/feed/ 16
L’opacité Total http://owni.fr/2011/06/01/opacite-total-petrole-evasion-fiscale/ http://owni.fr/2011/06/01/opacite-total-petrole-evasion-fiscale/#comments Wed, 01 Jun 2011 16:08:14 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=65547 Quand il s’agit d’impôts, le groupe Total est plein de bonnes intentions. Quand les militants des droits de l’Homme ont demandé des comptes à la première société française pour éclaircir ses liens avec la junte birmane, bénéficiaire de l’exploitation des pétrolières, le PDG Christophe de Margerie leur a répondu ceci :

Quand on est dans un pays, on paie des impôts, qui sont censés bénéficier à l’ensemble de la population. Je ne suis pas là pour juger ce que le pays fait de ces impôts

L’argument est discutable. Même si Total ne met pas directement de l’argent liquide dans les poches des dictateurs birmans, le secret de ces versements rend toutes les dérives possibles. Une opacité fiscale qui facilite la corruption, en Birmanie comme ailleurs.

Selon le rapport annuel du groupe, la charge d’impôts de Total en 2009 représente 7,751 milliards d’euros. Mais le document oublie de préciser à combien, à quel pays et à qui sont versés ces contributions fiscales.

Depuis la création de l’organisation internationale ITIE (Initiative sur la transparence des industries extractives), la question de l’accès aux données financières des industries extractives (mines, gaz et pétrole) est considérée comme un enjeu de démocratie. Son argument : plus de transparence permettrait de limiter l’évasion fiscale, de lutter plus efficacement contre la corruption, de faciliter la bonne gestion des ressources. Dans les régions très pauvres où elles travaillent, les majors des hydrocarbures ou des minerais ont un impact important sur l’économie de pays entiers.

Poussé par des ONG, Total a fini par s’engager dans ce sens et affirme soutenir l’ITIE depuis sa création, en 2002. Sur le site web du groupe, on peut lire la déclaration suivante:

Total s’engage en faveur d’une transparence rigoureuse et participe activement aux initiatives et dialogues intergouvernementaux sur le sujet.

Passés ces beaux engagements, le groupe pétrolier a concrètement diffusé huit documents, précisant son activité et les taxes payées dans huit pays. De plus, les dirigeants de Total ont tenu à faire savoir qu’ils payaient 300 millions d’euros par an à la France, principalement au titre de la contribution économique territoriale (anciennement taxe professionnelle).

Pour faire acte de transparence, Total a publié les impôts versés à 10 pays représentant 69,6% de sa production. Design : Marion Boucharlat / Source : Total.

Or, les données se révèlent contradictoires : pour l’année 2009, Total déclare dans ce document avoir payé 8,849 milliards d’euros d’impôts aux dix pays représentant 69,6% de sa production… alors que son rapport annuel annonce que le groupe a versé 7,751 milliards en contributions fiscales pour l’intégralité de ses activités. Derrière cette incohérence, le problème des chiffres fournis apparaît : plutôt que de donner le détail, Total ne livre que des données agrégées qui ne rendent aucun compte de la complexité des taxes et contributions payées dans chaque pays, dont on peut avoir une idée en regardant un tableau plus complet fourni pour le Nigeria.

Selon les pays, Total ne verse pas un mais deux principaux types d’impôts : les royalties, en fonction des quantités extraites, et les impôts sur les bénéfices des résultats de la filiale locale. La charge d’impôt annoncée dans le rapport annuel ne représente que les sommes payées sur les bénéfices. Les royalties, elles, sont intégrées dans les charges d’exploitation, un ensemble indéfini de 18,591 milliards d’euros. Impossible de croiser les données nationales avec celles, globales, du rapport annuel. Et donc impossible d’obtenir des informations indirectes sur les sommes versées en dehors de ces dix pays.

Les pays sur lesquels Total ne communique pas n’ont pas été laissés dans l’ombre par hasard. Birmanie, Azebaïdjan, Libye, Iran, Syrie et Yémen sont précisément les pays visés par les ONG de lutte anti-corruption (voir l’étude de Transparency international sur le sujet). Celles-là même qui militent pour la transparence des données financières. Or, sans les données précises, filiale par filiale, impossible d’établir un état des lieux des impôts payés et de respecter le niveau de « transparence » dont se réclame le géant pétrolier.

Le pétrolier français opaque… à 90,5%

Parmi les études sur la transparence des compagnies pétrolières, le rapport Beyond the rethoric, réalisé par l’ONG Save the children en 2005, visant précisément à mesurer l’adéquation entre les discours tenus et les actes. Les résultats de Total y sont catastrophiques : noté sur 100, comme les autres compagnies, le pétrolier français obtient un score de 9,5, ce qui en fait la cinquième compagnie la moins bien notée. Les quatre dernières étant des compagnies nationales chinoises, russe et malaisienne. Lesquelles n’ont jamais pris le moindre engagement en matière de transparence.

Le résultat de cette étude est clair : en 2005, la participation de Total à l’EITI n’est qu’une démarche de communication. Piqués au vif, les dirigeants de Total ont décidé en réaction de diffuser certaines données. Celles-là même dont nous avons prouvé la pertinence plus haut…

En 2011, un rapport de Transparency International sur le même thème

Pour justifier ce manque d’informations, un argument revient régulièrement : « ce sont les dirigeants des pays en questions qui refusent de diffuser les chiffres, se défendent les majors. Qui sommes-nous pour diffuser ce qu’ils souhaitent garder confidentiel ? » Pour étudier la validité de cet argument, Transparency a comparé les informations publiées par différentes compagnies pour un même pays.

Pour un même état, les quantités de données fournies sont très différentes selon les compagnies. Et Total est toujours derrière ses concurrents. Les annexes du rapport de Transparency recèlent même une surprise de taille : c’est en France que Total obtient le plus mauvais score sur la diffusion des données, 8% pour une moyenne mondiale de 53%. C’est donc dans son pays d’origine que le pétrolier est le plus opaque.

Les pays pauvres ont intérêt à la transparence de Total

Total s’engage en faveur d’une transparence rigoureuse.

Après un examen attentif des démarches de Total en matière de transparence, la « transparence rigoureuse » se révèle n’être qu’un bel engagement. Un constat d’autant plus décevant que toutes les compagnies pétrolières ne pratiquent pas l’opacité. Il suffit de consulterle rapport ITIE de la Norvège pour réaliser que certains états ont réussi à forcer la main des industriels. Contrôlées par un cabinet d’audit, les quelques pages consacrées à ce pays détaillent les quantités de pétrole extraites et les impôts payés, taxe par taxe, compagnie par compagnie.

Ce type de publications de données complètes, détaillées et auditées sont en substance la demande des ONG actives sur le sujet pour une réelle transparence fiscale. Certaines exigent ainsi un état des lieux public et obligatoire des bénéfices et impôts, pays par pays, pour toutes les multinationales. Des données dont dispose n’importe quelle société.

Envisagé dans un cadre global, ce débat diplomatique donne lieu à un intense combat de lobbying : les multinationales ont des moyens gigantesques, les militants ont l’opinion publique avec eux. Au Royaume-Uni, des activistes ont commencé à monter des actions contre les multinationales sur ce thème. Des organisations ont été spécialement créées, comme Publish what you pay.

Total a intérêt à la transparence.

Une fois décryptée la communication de Total, cette phrase de Thierry Desmarest, président du conseil d’administration de Total, mériterait une correction : ce sont les pays les plus pauvres qui ont le plus d’intérêt à la transparence de Total. L’évolution de la situation internationale semble montrer la voie d’une plus grande exigence. Si le pétrolier souhaite traduire son engagement pour une transparence financière réelle, c’est le moment d’agir.


Illustration CC FlickR: Hugo90

]]>
http://owni.fr/2011/06/01/opacite-total-petrole-evasion-fiscale/feed/ 7
Banques : des comptes courants qui polluent plus que les 4×4 http://owni.fr/2011/02/01/banques-des-comptes-courants-qui-polluent-plus-que-les-4x4/ http://owni.fr/2011/02/01/banques-des-comptes-courants-qui-polluent-plus-que-les-4x4/#comments Tue, 01 Feb 2011 07:30:44 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=44783 Dans le coffre numérique des banques de l’hexagone, votre argent fume. Plus que ça même : il pétarade, crachote et souffle dans l’atmosphère plus de CO² chaque année que ne pourraient le faire la voiture et l’essence que vous pourriez vous payer avec : à 900 kg rejetés par mille euros déposés, un compte courant à la Société générale réchauffe plus le climat qu’un 4×4. Qu’il soit entre les mains de la BNP, « la banque d’un monde qui change », ou du Crédit agricole, et sa « relation durable », le pognon tel qu’il est géré par le système bancaire français est un agent de pollution massive, comme le prouve une étude menée par le cabinet Utopies, dont Stanislas Dupré a tiré son livre Que font-ils de notre argent ?

« Allez poser la question à votre banquier, il sera aussi incapable que la plupart des Français d’y répondre », assure l’auteur. Malgré le récent buzz provoqué par la proposition d’Éric Cantona de retirer son argent des banques pour faire s’écrouler le système, la question de la transparence des placements financiers n’a guère été soulevée au niveau politique : la plupart des clients restent persuadés qu’un chèque déposé à la banque est thésaurisé dans un coffre à grosse porte circulaire en métal. Or, il y a derrière les murs des banques la même chose que derrière leurs arguments marketing pseudo écolo : rien !

L’opacité : enfin une règle respectée par les banques !

S’appuyant sur les rapports annuels de sa banque (la Société générale), Stanislas Dupré a ainsi détaillé le sort de ses 10.000€ de prime placés sur un compte courant fin 2007 :
1.700€ ont servi à financer l’économie locale (crédits à la consommation, projets de PME et de collectivités locales) ;
1.000€ ont alimenté des dépenses publiques (achat de dette des États) ;
1.300€ ont été prêtés à d’autres organismes financiers (banques ou assurances) qui les ont placés à leur guise ;
4.100€ ont été injectés dans des multinationales par divers biais (achat d’actions, prêts, etc.) ;
1.900€ ont rejoint le bal des produits dérivés et autres produits complexes.

60% de la prime a rejoint les sommets du CAC40 et les tréfonds des stratégies financières les plus tordues. L’opacité est, dans le cas des comptes-courants, devenu une règle tacite. Un régime auquel sont également tenus la plupart des produits d’épargne : en dehors de « l’épargne réglementée » (type livret A ou livret Développement durable, ex-Codevi), les placements ne répondent qu’à une logique de rentabilité indexée sur un indicateur de marché. Selon le placement, la banque promet de suivre les performances du CAC40, du DAX, du marché EuroNEXT… Mais ne détaille pas les moyens déployés pour arriver à ces fins. Et pas la peine de se tourner vers les placements « éthiques et solidaires », qui n’ont « d’éthique » que le nom.

Généralement commercialisés sous la forme d’organisme de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), les fonds « solidaires » répondent aux règles de l’Autorité des marchés financiers qui visent à la stabilité des produits. Or, l’une de ces règles édicte que les fonds communs de placement en entreprise ne peuvent investir plus de 10% dans des entreprises « solidaires »… Une part ironiquement nommée ratio poubelle. Autrement dit : même agréé par l’organisme Finansol (spécialiste de la labélisation de produit financiers « éthique »), aucun produit financier n’est investi à plus de 10% dans des sociétés non côtées aillant une politique sociale ou écologique spécifique. L’attribution du reste des sommes est « discrétionnaire et dépend des anticipations du gestionnaire », pour reprendre la notice d’un produit financier élégamment intitulée : « Ethique et solidarité – FCPE Solidaire ».

Les banques d’un monde qui refuse de changer

Contredisant tous les discours publics, les banques vont ainsi chercher la rentabilité dans les activités les plus polluantes et technologiquement rétrogrades de l’économie : sur les 10.000€ de Stanislas Dupré, quelques euros ont peut-être abondé les 860 millions de dollars de prêts octroyés par la Société générale pour la construction d’un pipeline visant à acheminer le pétrole des gisements de sables bitumineux d’Alberta. Principal émetteur de gaz à effets de serre, le secteur de l’énergie est également l’un des principaux émetteurs de bénéfices de l’économie occidentale. Leader du CAC40, le géant pétrolier Total affiche une capitalisation de 100 milliards d’euros et traîne à sa suite le fabricant de tubages pour l’exploitation pétrolière Vallourec, recordman de la performance boursière sur 10 ans avec 1453% de valorisation.

L’énergie seule représenterait ainsi 13% du porte-feuille type du gestionnaire de fonds français. Non content de monopoliser les investissements sur le marché d’action, les hydrocarbures sont également les stars des marchés des produits dérivés : « les volumes échangés sur les marchés financiers du pétrole sont trente-cinq fois supérieurs à ceux échangés sur les marchés physiques », un constat alarmant dressé par… Christine Lagarde !

Bien sûr, chacune de ces grandes entreprises disposent d’un département « responsabilité sociale et environnemental » et d’une fondation visant au mécénat de projets écologiquement responsables. Or, il s’agit généralement plus d’un hommage du vice à la vertu que de réelle velléités de changement : dans la notice d’impact de Total présentant les conditions dans lesquelles le géant pétrolier comptait évaluer le potentiel gazier des schistes du sous-sol lanquedocien, la fondation était mentionnée comme une sorte de « fonds de compensation » pour les dommages causés aux riverains. « La plupart des grands groupes ont une stratégie incrémentale vis-à-vis de l’écologie », explique Stanislas Dupré. Loin d’imaginer une révolution de leur secteur, elles adoptent « à la marge » des gadgets qui permettent de conserver les marges bénéficiaires tout en affichant une volonté de changement.

Et le consultant en sait quelque chose pour avoir travaillé avec Lafarge, producteur d’un des produits les plus polluants qui soit : le ciment qui, pour un kilogramme de matériau produit rejette 800 grammes de CO2 dans l’atmosphère. Invité à réfléchir à une stratégie de réduction de l’impact écologique du ciment, le consultant d’Utopies réunit autour de la table le PDG de la firme, des directeurs techniques et des chercheurs tentant de reproduire les mécanismes de production d’un ciment « naturel » à température du corps : la coquille d’oeuf ! Enthousiaste au sortir de cette rencontre, Dupré va boucler le dossier chez un des directeurs de la boîte. Quelques heures de discussion plus tard, son interlocuteur l’arrête dans ses espoirs : « la culture du groupe, c’est le ciment, sort-il. L’alternative au ciment verra peut-être le jour dans une start-up ou un laboratoire de recherche mais certainement pas chez un grand cimentier. » Dix ans après, Lafarge tousse toujours plus de CO2.

Les bénéfs jusqu’à la dernière goutte

Par un cercle vicieux les banques entretiennent donc un vieux système du fait de sa stabilité… Or, sans leurs milliards d’euros, ce système lui-même se serait déjà effondré. Localement, pourtant, des initiatives montrent la viabilité d’une économie plus responsable écologiquement : lancée comme une expérimentation dans le domaine de la recherche et développement en technologies vertes, Ecomagination, filiale du géant américain de l’électricité General Electrics, a renouvelé la stratégie du groupe et enrichi son catalogue avec des moteurs d’avion moins consommateurs, des moteurs hybrides pour locomotives, etc. Jusqu’à ce qu’il isole la comptabilité de sa « branche verte », GE n’avait aucune idée de son potentiel. Désormais, les investisseurs demandent à l’entreprise d’émettre des actions pour pouvoir miser sur cette réussite !

Las, la tendance naturelle des grands groupes dominants les marchés mondiaux reste à exploiter les filons jusqu’à la dernière goutte. Endetté, le groupe GDF-Suez a ainsi envisagé de faire coter en Bourse son activité exploration-production, très rentable et dont la croissance repose sur des plates-formes de forage off shore comme le champs de Gjoa en Norvège et l’exploitation des gaz de schiste. Même logique au groupe Carrefour qui espère tirer plus de bénéfice en faisant coter ses trois principales entités séparément pour lever plus d’argent sur les marchés.

Cependant, la tentative de Bank Run a créé un précédent sur le souci porté au circuit de l’argent. « La Fédération des banques françaises a réagi, c’est une véritable mue culturelle, insiste Stanislas Dupré. À un certain moment dans la prise de conscience environnementale, le contrôle de l’utilisation de l’argent par les banques est un débat d’une importance comparable à l’instauration du droit de vote. » Alors que la plupart des instituts financiers ont claqué le méprisant « c’est n’importe quoi » en réponse au bilan carbone des placements dressé par le cabinet Utopies, une filiale de la BNP, Cortal, a soutenu le projet et envisagé de mener des études sur l’évaluation de l’empreinte carbone. À terme, une vraie politique de transparence devrait pouvoir mener à la création de vrais produits financiers « écologiquement responsables ». Peut-être un peu moins rentables que les actuels OPCVM et autres FCPE proposés aux clients. Mais, à terme, eux aussi devront peut-être revoir leurs prétentions à la baisse pour espérer voir un jour leur argent arrêter de fumer.

Illustration Flickr CC @NOOPNNL et Laure73

]]>
http://owni.fr/2011/02/01/banques-des-comptes-courants-qui-polluent-plus-que-les-4x4/feed/ 62
Gaz de schiste : révolution énergétique, menace écologique http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schiste-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/ http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schiste-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/#comments Tue, 07 Dec 2010 17:53:22 +0000 Sylvain Lapoix, Ophelia Noor et Pierre Ropert http://owni.fr/?p=38510 Dans le nord du Texas le gisement de Barnett Shale a éveillé une nouvelle ruée vers l’or gris. Chaque mois des milliards de m3 de gaz sont extraits des couches profondes de roches de schiste sous la ville de Fort Worth. Des torrents de gaz drainés par des milliers de camions. Une activité qui, ajoutée aux rejets des raffineries, pollue plus que le tout le trafic automobile de cette ville de 725 000 habitants selon un rapport réalisé par le professeur Al Armendariz en janvier 2009, nouvel administrateur de l’EPA (Agence de protection de l’environnement américaine). Ce précieux gaz, certains des habitants de Fort Worth l’ont retrouvé jusqu’à la sortie de leur robinet. Leur eau même contient des traces de produits chimiques injectés dans les puits, selon des analyses indépendantes menées par le documentariste américain Josh Fox. Nouvel arrivant dans cet Eldorado énergétique, Total a acquis début 2010, 25 % du plus gros exploitant de la Barnett Shale, Chesapeake, pour un montant de 600 millions d’euros et prévoit d’investir 1 milliard supplémentaire pour de nouveaux puits. Sans compter les engagements financiers que le groupe pétrolier prévoit en France.

Depuis le début du printemps le géant pétrolier français et le Texan Schuepbach sont libres d’explorer 9672 km² dans le Sud de la France, un terrain de prospection grand comme la Gironde. Signés par Jean-Louis Borloo, trois permis exclusifs de recherche (Permis de Montélimar ; Permis de Nant, Permis de Villeneuve de Berg) dessinent un gigantesque V de Montelimar au Nord de Montpellier, remontant à l’Ouest le long du parc naturel des Cévennes. Pour obtenir deux des trois permis, l’Américain a cependant du rassurer les autorités françaises en s’alliant à GDF : “S’il y a un problème, ils sont juste là”, nous dit Charles Lamiraux, géologue à la direction générale de l’énergie et du climat (ministère de l’écologie) et en charge du dossier, en pointant la tour du gazier français depuis son bureau dans l’Arche de La Défense. Encore novices dans l’exploitation des gaz de schistes, les groupes français ne peuvent se passer de partenaires américains, les seuls à maîtriser la technique clef d’extraction de ces nouvelles ressources.

Avant, pour les gaziers, la vie était facile : un forage vertical de quelques centaines de mètres jusqu’à une poche, et le gaz remontait tout seul à la surface. Avec l’explosion de la demande, ces gaz dits conventionnels sont de plus en plus difficiles à trouver. Cette raréfaction a poussé les exploitants à creuser toujours plus loin et toujours plus profond… jusqu’à plus de 2000 mètres pour récupérer des micropoches de gaz emprisonnées dans un mille feuilles de roches de schiste. Or, ces nouveaux gisements représentent une manne considérable, présente dans le sous-sol d’un bout à l’autre de la planète selon le rapport du géant italien de l’énergie E.ON : des milliers de milliards de mètres cubes de gaz en Europe, sept fois plus en Amérique du Nord et plus encore en Asie et en Australie… De quoi flamber encore pendant quelques décennies sans besoin d’énergies renouvelables. Tout ça grâce à la technique révolutionnaire de fracturation hydraulique mise au point par le géant de l’armement texan, Halliburton. Un procédé efficace mais brutal.

A 2500 m de profondeur, c’est un petit tremblement de terre : pour réunir les micropoches en une unique poche de gaz, un explosif est détonné pour créer des brèches. Elles sont ensuite fracturées à l’aide d’un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques propulsé à très haute pression (600 bars) qui fait remonter le gaz à la surface avec une partie de ce “liquide de fracturation”. Chacun de ces “fracks” nécessite de 7 à 15 000 mètres cube d’eau (soit 7 à 15 millions de litres), un puits pouvant être fracturé jusqu’à 14 fois.

Selon la couche de schiste, un puits peut donner accès à des quantités de gaz très variables, précise Aurèle Parriaux, docteur en géologie de l’ingénieur à l’université polytechnique de Lausanne. Pour être sûr de rentabiliser un champ il faut une forte densité de forage.

Dans le Garfield County (Colorado), le désert s’est hérissé de puits de gaz de schiste tous les 200 mètres.

Chacun des points blanc sur la carte est un puits d'extraction de gaz de schiste

Pour chaque “frack”, deux cents allers retours de camions sont nécessaires au transport des matériaux de chantier, de l’eau, puis du gaz. De quoi transformer n’importe quelle nationale en autoroute. Sans compter les rejets de CO2 des raffineries, le bruit généré par le site et la transformation du paysage environnant.

Loin des ambitions affichées par le Grenelle de l’environnement, la fracturation hydraulique va à l’encontre de nombreux engagements pris par le ministre de l’écologie Jean Louis Borloo, qui a signé l’attribution des permis de recherche. Parmi les objectifs de ce Grenelle, améliorer la gestion des émissions de gaz à effet de serre grâce à la réduction de la circulation automobile, protéger les sources d’eau potables et les zones d’écosystèmes sensibles.

Si l’exploitation devait commencer dans les frontières définies par les permis, ce serait plus d’un paragraphe du Grenelle de l’environnement qui serait piétiné. Pour ce qui est des quantités d’eau à mobiliser, le choix de la région, frappée de sécheresse endémique depuis plusieurs années (notamment en Drôme et en Ardèche), est loin de satisfaire au principe de préservation des ressources en eau énoncé à l’article 27 du Grenelle :

Le second objectif dans ce domaine est de garantir l’approvisionnement durable en eau de bonne qualité propre à satisfaire les besoins essentiels des citoyens. A ce titre, l’Etat promeut des actions visant à limiter les prélèvements et les consommations d’eau. Il participe, en s’appuyant sur les acteurs compétents, à la diffusion des connaissances scientifiques et des techniques visant à une meilleure maîtrise des prélèvements et des consommations finales d’eau pour l’ensemble des usages domestiques, agricoles, industriels et de production énergétique.

Le risque est clairement identifié comme on nous le confie au ministère de l’Ecologie : “le problème de l’approvisionnement en eau nécessaire à l’exploitation des gaz de schiste se posera à un moment ou à un autre.”

Dans le document de référence remis aux autorités, Total et Schuepbach assurent prendre toutes les précautions nécessaires pour minimiser l’impact des recherches de gaz de schiste sur l’environnement. Malgré la cimentation des puits, les bourbiers avec films plastiques et autres sécurités mises en place pour empêcher la contamination, la notice d’impact précise la nécessité de réaliser au préalable une étude hydrogéologique, le forage pouvant traverser des nappes phréatiques. Le risque, comme l’ont expérimenté les riverains de la Barnett Shale au Texas, c’est la contamination des eaux souterraines par les polluants inclus dans le liquide de fracturation. Séverin Pistre, chercheur en hydrogéologie au laboratoire hydrosciences de Montpellier, souligne la fragilité des sources dans la région :

il y a beaucoup de problèmes de protection des captages d’eau du fait des aquifères karstiques qui peuvent réagir de façon très violente aux polluants. Selon l’endroit où le fluide pénètre la nappe phréatique, sa vitesse de propagation peut aller de 1 à 1000. Dans certain cas, il peut ainsi parcourir des centaines de mètres par jour dans les sous-sols.

Mais Total a tout prévu : en cas de nuisances, la notice d’impact donne aux habitants “la possibilité d’introduire un dossier auprès du Mécénat Total pour des actions patrimoniales ou culturelles”. L’honneur est sauf !

La priorité reste néanmoins à l’investissement : pour obtenir les permis, Total s’est engagée à dépenser 37 800 000 euros sur cinq ans pour sa zone d’exploration. Schuepbach quant à elle, a promis d’investir sur trois ans 1 722 750 euros pour les 4414 km² du permis de Nant et 39 933 700 pour le permis de Villeneuve de Berg et ses 931 km², soit 14319€ par km² et par an.

L’investissement dépend du degré de certitude que les entreprises ont de trouver des gisements de gaz, précise Charles Lamiraux. En Ardèche, des forages anciens permettent d’affirmer qu’il y a des réserves profondes que nous ne pouvions pas exploiter jusqu’ici. Peut-être même du pétrole.

Une éventualité qui pourrait expliquer certains investissements de dernière minute : Total E&P, abandonnée sur le permis de Montélimar par Devon Energy, n’a pas hésité à racheter la filiale française du groupe (non sans avoir obtenu l’aval du ministère de l’Ecologie). La rumeur veut que Chesapeake, basée à Oklahoma City, devienne le nouveau partenaire technique du pétrolier français. La même entreprise dans laquelle Total a pris en janvier dernier une participation de 25%.

Même si aucun des acteurs n’avoue encore d’ambition d’exploitation réelle, les investissements mis en place laissent entrevoir une stratégie à long terme.

Pour l’instant nous en sommes à une phase d’analyse de données par nos géologues, explique-t-on chez Total. Si les résultats de la phase de prospection de cinq ans sont positifs, il faut en général quatre ans de plus pour mettre en place l’extraction d’hydrocarbures. Cependant, pour les gaz de schiste, le forage des puits peut être très rapide et extensif.

Le PDG de Total lui-même Christophe de Margerie n’a pas caché que lorsqu’il prenait pied sur les gisements texans cela “permettra à Total de développer son expertise dans les hydrocarbures non conventionnels pour poursuivre d’autres opportunités au niveau mondial.”

Si des géants comme Exxon Mobil n’hésitent pas à acheter pour 41 milliards de dollars un exploitant régional de la Marcellus Shale, le marché reste aujourd’hui dans une phase spéculative.

La situation dans les gaz de schiste aujourd’hui est assez comparable à celle de la bulle internet : actuellement, le gaz naturel se vend autour de 4$ le gigajoule [énergie équivalente à 1/6 de baril de pétrole, NdR] mais coûte à peu près 6$ le gigajoule à produire, explique Normand Mousseau, titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique numérique de matériaux complexes et auteur du livre “La révolution des gaz de schiste”.

Des petites compagnies texanes ou albertaines se positionnent pour se faire racheter par des acteurs majeurs du secteur : le pétrole est de plus en plus difficile à trouver et le gaz pèse de plus en plus lourd dans les comptes d’exploitation.Bien plus que les bilans financiers d’une poignée de magnats du pétrole, c’est peut-être l’indépendance énergétique de nombreux pays qui se joue ici. Ces gisements non conventionnels remettent en cause la suprématie gazière de la Russie et des pays du Golfe et pourraient redessiner la carte du monde des hydrocarbures. Quitte à faire courir des risques environnementaux aux habitants, dépassant de loin les bénéfices énergétiques de l’exploitation des gaz de schiste.

Carte réalisée par Marion Boucharlat pour Owni

Photos FlickR CC Travis S. ; Rich Anderson ; Jeromy.

Capture d’écran google maps, puits du Garfield County, Colorado

Retrouvez tous nos articles sur les gaz de schiste sur OWNI.fr et OWNIpolitics.com ainsi que nos brèves sur le sujet en suivant OWNIlive.com.

]]>
http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schiste-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/feed/ 120
Gaz de schiste : le trésor empoisonné du sous-sol français http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schistes-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/ http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schistes-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/#comments Tue, 07 Dec 2010 07:55:32 +0000 Sylvain Lapoix, Ophelia Noor et Pierre Ropert http://owni.fr/?p=37359 Dans le nord du Texas le gisement de Barnett Shale a éveillé une nouvelle ruée vers l’or gris. Chaque mois des milliards de m3 de gaz sont extraits des couches profondes de roches de schistes sous la ville de Fort Worth. Des torrents de gaz drainés par des milliers de camions. Une activité qui, ajoutée aux rejets des raffineries, pollue plus que le tout le trafic automobile de cette ville de 725 000 habitants selon un rapport réalisé par le professeur Al Armendariz en janvier 2009, nouvel administrateur de l’EPA (Agence de protection de l’environnement américaine). Ce précieux gaz, certains des habitants de Fort Worth l’ont retrouvé jusqu’à la sortie de leur robinet. Leur eau même contient des traces de produits chimiques injectés dans les puits de gaz, selon des analyses indépendantes menées par le documentariste américain Josh Fox. Nouvel arrivant dans cet Eldorado énergétique, Total a acquis début 2010, 25 % du plus gros exploitant de la Barnett Shale, Chesapeake, pour un montant de 600 millions d’euros et prévoit d’investir 1 milliard supplémentaire pour de nouveaux puits. Sans compter les engagements financiers que le groupe pétrolier prévoit en France.

Depuis le début du printemps le géant pétrolier français et le Texan Schuepbach sont libres d’explorer 9672 km² dans le Sud de la France, un terrain de prospection grand comme la Gironde. Signés par Jean-Louis Borloo, trois permis exclusifs de recherche (Permis de Montélimar ; Permis de Nant, Permis de Villeneuve de Berg)) dessinent un gigantesque V de Montelimar au Nord de Montpellier, remontant à l’Ouest le long du parc naturel des Cévennes. Pour obtenir deux des trois permis, l’Américain a cependant du rassurer les autorités françaises en s’alliant à GDF : “S’il y a un problème, ils sont juste là”, nous dit Charles Lamiraux, géologue à la direction générale de l’énergie et du climat (ministère de l’écologie) et en charge du dossier, en pointant la tour du gazier français depuis son bureau dans l’Arche de La Défense. Encore novices dans l’exploitation des gaz de schistes, les groupes français ne peuvent se passer de partenaires américains, les seuls à maîtriser la technique clef d’extraction de ces nouvelles ressources.

Avant, pour les gaziers, la vie était facile : un forage vertical de quelques centaines de mètres jusqu’à une poche, et le gaz remontait tout seul à la surface. Avec l’explosion de la demande, ces gaz dits conventionnels sont de plus en plus difficiles à trouver. Cette raréfaction a poussé les exploitants à creuser toujours plus loin et toujours plus profond… jusqu’à plus de 2000 mètres pour récupérer des micropoches de gaz emprisonnées dans un mille feuilles de roches de schiste. Or, ces nouveaux gisements représentent une manne considérable, présente dans le sous-sol d’un bout à l’autre de la planète selon le rapport du géant italien de l’énergie E.ON : des milliers de milliards de mètres cubes de gaz en Europe, sept fois plus en Amérique du Nord et plus encore en Asie et en Australie… De quoi flamber encore pendant quelques décennies sans besoin d’énergies renouvelables. Tout ça grâce à la technique révolutionnaire de fracturation hydraulique mise au point par le géant de l’armement texan, Halliburton. Un procédé efficace mais brutal.

A 2500 m de profondeur, c’est un petit tremblement de terre : pour réunir les micropoches en une unique poche de gaz, un explosif est détonné pour créer des brèches. Elles sont ensuite fracturées à l’aide d’un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques propulsé à très haute pression (600 bars) qui fait remonter le gaz à la surface avec une partie de ce “liquide de fracturation”. Chacun de ces “fracks” nécessite de 7 à 15 000 mètres cube d’eau (soit 7 à 15 millions de litres), un puits pouvant être fracturé jusqu’à 14 fois.

Selon la couche de schiste, un puits peut donner accès à des quantités de gaz très variables, précise Aurèle Parriaux, docteur en géologie de l’ingénieur à l’université polytechnique de Lausanne. Pour être sûr de rentabiliser un champ il faut une forte densité de forage.

Dans le Garfield County (Colorado), le désert s’est hérissé de puits de gaz de schiste tous les 200 mètres.

Chacun des points blanc sur la carte est un puits d'extraction de gaz de schiste

Pour chaque “frack”, deux cents allers retours de camions sont nécessaires au transport des matériaux de chantier, de l’eau, puis du gaz. De quoi transformer n’importe quelle nationale en autoroute. Sans compter les rejets de CO2 des raffineries, le bruit généré par le site et la transformation du paysage environnant.

Loin des ambitions affichées par le Grenelle de l’environnement, la fracturation hydraulique va à l’encontre de nombreux engagements pris par le ministre de l’écologie Jean Louis Borloo, qui a signé l’attribution des permis de recherche. Parmi les objectifs de ce Grenelle, améliorer la gestion des émissions de gaz à effet de serre grâce à la réduction de la circulation automobile, protéger les sources d’eau potables et les zones d’écosystèmes sensibles.

Si l’exploitation devait commencer dans les frontières définies par les permis, ce serait plus d’un paragraphe du Grenelle de l’environnement qui serait piétiné.  Pour ce qui est des quantités d’eau à mobiliser, le choix de la région, frappée de sécheresse endémique depuis plusieurs années (notamment en Drôme et en Ardèche), est loin de satisfaire au principe de préservation des ressources en eau énoncé à l’article 27 du Grenelle :

Le second objectif dans ce domaine est de garantir l’approvisionnement durable en eau de bonne qualité propre à satisfaire les besoins essentiels des citoyens. A ce titre, l’Etat promeut des actions visant à limiter les prélèvements et les consommations d’eau. Il participe, en s’appuyant sur les acteurs compétents, à la diffusion des connaissances scientifiques et des techniques visant à une meilleure maîtrise des prélèvements et des consommations finales d’eau pour l’ensemble des usages domestiques, agricoles, industriels et de production énergétique.

Le risque est clairement identifié comme on nous le confie au ministère de l’Ecologie : “le problème de l’approvisionnement en eau nécessaire à l’exploitation des gaz de schiste se posera à un moment ou à un autre.”

Dans le document de référence remis aux autorités, Total et Schuepbach assurent prendre toutes les précautions nécessaires pour minimiser l’impact des recherches de gaz de schiste sur l’environnement. Malgré la cimentation des puits, les bourbiers avec films plastiques et autres sécurités mises en place pour empêcher la contamination, la notice d’impact précise la nécessité de réaliser au préalable une étude hydrogéologique, le forage pouvant traverser des nappes phréatiques. Le risque, comme l’ont expérimenté les riverains de la Barnett Shale au Texas, c’est la contamination des eaux souterraines par les polluants inclus dans le liquide de fracturation. Séverin Pistre, chercheur en hydrogéologie au laboratoire hydrosciences de Montpellier, souligne la fragilité des sources dans la région :

il y a beaucoup de problèmes de protection des captages d’eau du fait des aquifères karstiques qui peuvent réagir de façon très violente aux polluants. Selon l’endroit où le fluide pénètre la nappe phréatique, sa vitesse de propagation peut aller de 1 à 1000. Dans certain cas, il peut ainsi parcourir des centaines de mètres par jour dans les sous-sols.

Mais Total a tout prévu : en cas de nuisances, la notice d’impact donne aux habitants “la possibilité d’introduire un dossier auprès du Mécénat Total pour des actions patrimoniales ou culturelles”. L’honneur est sauf !

La priorité reste néanmoins à l’investissement : pour obtenir les permis, Total s’est engagée à dépenser 37 800 000 euros sur cinq ans pour sa zone d’exploration. Schuepbach quant à elle, a promis d’investir sur trois ans 1 722 750 euros pour les 4414 km² du permis de Nant et 39 933 700 pour le permis de Villeneuve de Berg et ses 931 km², soit 14319€ par km² et par an.

L’investissement dépend du degré de certitude que les entreprises ont de trouver des gisements de gaz, précise Charles Lamiraux. En Ardèche, des forages anciens permettent d’affirmer qu’il y a des réserves profondes que nous ne pouvions pas exploiter jusqu’ici. Peut-être même du pétrole.

Une éventualité qui pourrait expliquer certains investissements de dernière minute : Total E&P, abandonnée sur le permis de Montélimar par Devon Energy, n’a pas hésité à racheter la filiale française du groupe (non sans avoir obtenu l’aval du ministère de l’Ecologie). La rumeur veut que Chesapeake, basée à Oklahoma City, devienne le nouveau partenaire technique du pétrolier français. La même entreprise dans laquelle Total a pris en janvier dernier une participation de 25%.

Même si aucun  des acteurs n’avoue encore d’ambition d’exploitation réelle, les investissements mis en place laissent entrevoir une stratégie à long terme.

Pour l’instant nous en sommes à une phase d’analyse de données par nos géologues, explique-t-on chez Total. Si les résultats de la phase de prospection de cinq ans sont positifs, il faut en général quatre ans de plus pour mettre en place l’extraction d’hydrocarbures. Cependant, pour les gaz de schiste, le forage des puits peut être très rapide et extensif.

Le PDG de Total lui-même Christophe de Margerie n’a pas caché que lorsqu’il prenait pied sur les gisements texans cela “permettra à Total de développer son expertise dans les hydrocarbures non conventionnels pour poursuivre d’autres opportunités au niveau mondial.”

Si des géants comme Exxon Mobil n’hésitent pas à acheter pour 41 milliards de dollars un exploitant régional de la Marcellus Shale, le marché reste aujourd’hui dans une phase spéculative.

La situation dans les gaz de schiste aujourd’hui est assez comparable à celle de la bulle internet : actuellement, le gaz naturel se vend autour de 4$ le Gjoule mais coûte à peu près 6$ le Gjoule à produire, explique Normand Mousseau, titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique numérique de matériaux complexes et auteur du livre “La révolution des gaz de schistes”.

Des petites compagnies texanes ou albertaines se positionnent pour se faire racheter par des acteurs majeurs du secteur : le pétrole est de plus en plus difficile à trouver et le gaz pèse de plus en plus lourd dans les comptes d’exploitation.Bien plus que les bilans financiers d’une poignée de magnats du pétrole, c’est peut-être l’indépendance énergétique de nombreux pays qui se joue ici. Ces gisements non conventionnels remettent en cause la suprématie gazière de la Russie et des pays du Golfe et pourraient redessiner la carte du monde des hydrocarbures. Quitte à faire courir des risques environnementaux aux habitants, dépassant de loin les bénéfices énergétiques de l’exploitation des gaz de schiste.

Carte réalisée par Marion Boucharlat pour Owni

Photos FlickR CC Travis S. ; Rich Anderson ; Jeromy.

Pour comprendre comment fonctionne la fracturation hydraulique nécessaire à l’extraction du gaz de schiste, faites-un tour sur notre application :

Retrouvez tous nos articles sur les gaz de schiste sur OWNI.fr et OWNIpolitics.com ainsi que nos brèves sur le sujet en suivant OWNIlive.com

]]>
http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schistes-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/feed/ 182