OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 De la presse politique à la presse d’information (et retour ?) http://owni.fr/2010/11/09/de-la-presse-politique-a-la-presse-d%e2%80%99information-et-retour/ http://owni.fr/2010/11/09/de-la-presse-politique-a-la-presse-d%e2%80%99information-et-retour/#comments Tue, 09 Nov 2010 07:30:01 +0000 Guillaume Henchoz http://owni.fr/?p=34836 Ce troisième volet de la série s’intéresse à l’évolution de la presse politique et de la presse d’information en prenant en exemple deux quotidiens helvétiques, la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève. Dans un ouvrage parut récemment, l’historien Alain Clavien se fait l’observateur de la disparition progressive d’une presse politique au détriment de la presse d’information.  Mais de nos jours c’est cette dernière qui connaît une remise en cause importante. Son cadre éthique, élaboré autour de notions telles que la neutralité et l’objectivité, semble dépassé. Et si la presse d’opinion faisait son grand retour  ?

L’étude des médias en Suisse romande passe plutôt par l’analyse des discours. Les recherches effectuées depuis la linguistique et la sociologie posent régulièrement un regard critique sur le discours médiatique et s’efforcent d’en décrire les mécanismes. Mais force est de constater qu’il existe peu de travaux fouillés, à caractère monographique, s’intéressant aux institutions de la presse romande depuis les sciences humaines et sociales. La prise de conscience de cet état de fait est en train de déboucher sur la création de deux chantiers différents. Du côté de l’Université de Lausanne, on s’intéresse de près à l’histoire de la Radio suisse romande (RSR), développant du même coup  une réflexion épistémologique fort intéressante concernant le statut et l’usage des archives sonores. A Fribourg, Alain Clavien, historien, vient de faire paraître une importante recherche concernant deux quotidiens romands aujourd’hui disparus : La Gazette de Lausanne et le Journal de Genève.

Sa recherche, érudite et complète, quoique principalement axée sur les deux titres, permet de saisir un large pan du panorama historique de la presse en Suisse romande. Alain Clavien s’efforce en effet de décrire les champs culturel, politique, économique dans lesquels évoluent la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève. En déroulant le fil de ces deux publications, le chercheur parvient à éclairer quelques moments cruciaux de la fabrique de l’information en terre romande, comme il l’explique dans la partie introductive et méthodologique de sa recherche :

Saisir les fils de ces trois niveaux, idéologique, économique, et sociologique, les tresser dans le contexte plus général de l’évolution du champ médiatique suisse: c’est à partir de cet écheveau que ce livre propose une histoire de la presse politique de ses débuts triomphants à sa marginalisation relative dans un monde médiatique qui fait de l’information sa religion et où la télévision est devenue l’instrument privilégié des politiciens.

Grandeurs et misères de la presse politique , p. 14

Presse d’opinion et journaux politiques

Ces deux journaux apparaissent au début du 19e siècle. Tous deux sont d’obédience libérale-conservatrice. Ils vont cependant réussir à coexister plus d’un siècle en se faisant souvent concurrence, avant de fusionner. Rétrospectivement, on se demande comment des journaux véhiculant les mêmes idées ont pu coexister si longtemps sur un marché assez limité. Alain Clavien explique leur longévité par le fait qu’ils ont opté assez rapidement pour des stratégies  différentes. Si la Gazette est un journal d’abord vaudois qui tend à déborder un peu du Canton, Le Journal de Genève porte un accent plus international, particulièrement après l’installation de la Société des Nations au bout du Lac.
Au fil des années cependant, les deux journaux ne manquent pas de se copier, et de débaucher les employés de leur concurrent, mais également de se démarquer par des approches de l’actualité et par la recherche de tons différenciés. D’abord profondément liés aux partis libéraux vaudois et genevois, les deux titres vont progressivement marquer leur autonomie par rapport aux organisations politiques tout en restant profondément ancrés dans le terreau idéologique de la droite libérale. De fait les principaux rédacteurs ne sont pas forcément des journalistes au sens moderne où nous l’entendons, mais des hommes politiques qui portent la plume. La plupart exercent même des charges législatives ou exécutives à différents niveaux. Les deux journaux vont connaître leurs heures de gloire à travers un rayonnement qui dépasse les frontières de la Suisse, notamment lors des guerres mondiales où la presse de la Suisse neutre est particulièrement prisée de l’autre côté de la frontière.

Si la première partie du 20e siècle donne l’impression d’une grande continuité, des premiers éléments de rupture commencent à se faire sentir dès la fin des années 1950. De nouveaux journaux sont apparus qui s’adressent à des segments particuliers de la population. On assiste à l’essor de la presse féminine et sportive, par exemple. Mais c’est également à ce moment que la presse d’information, plus “neutre”, commence à prendre le pas sur la presse politique. Différents phénomènes permettent d’éclairer ce déclin. Alain Clavien mentionne notamment la modification des pratiques publicitaires qui ne profitent ni à la Gazette de Lausanne, ni au Journal de Genève. Plus encore, une série de mutations opérées dans le champ médiatique marginalise fortement ce type de presse :

Les habitudes de lecture sont en train de changer, notamment à cause de la radio et de la télévision qui accordent de plus en plus d’importance à l’information. La presse écrite n’est plus la seule source d’information, elle est en train de perdre son statut de vecteur privilégié du discours politique et de forum indispensable à la vie civique. (…). D’abord réticents, les hommes politiques découvrent rapidement l’intérêt et la puissance des médias audiovisuels. Les Journalistes font de même.

Grandeurs et misères de la presse politique, p. 259-260

newspaper reader

Les éléments de rupture

Encore jusqu’aux années 1960, rappelle Alain Clavien, il est tout à fait normal qu’un journaliste assume une opinion. La presse de qualité s’adressant à l’élite économique et intellectuelle est une presse d’opinion politique, “seule manière d’avoir une ouverture sur le monde”, note encore l’historien. Les journaux d’information sont considérés comme “populaires” et peu sérieux. Toutefois, dès la fin de cette décennie, la tendance s’inverse. La presse régionale, plus versée dans l’information, prend le pas sur les deux mastodontes romands. On trouve la rupture qui s’opère au niveau du traitement de l’information dans le nom de certains de ces titres. Le Nouvelliste et plus encore l’Impartial marquent la différence en affichant leur volonté de présenter une information plus neutre à travers un nom qui reflète leur marque de fabrique.

Un dernier mouvement de bascule important repéré par l’historien est marqué la parution d’un ouvrage de Jean Dumur, Salut Journaliste! :

Pour ce journaliste alors très connu (…), l’information libre, complète et indépendante est le devoir et l’honneur de la presse. La circulation de l’information est la seule façon de contrôler la démocratie. (…). Dumur, qui connaît bien les Etats-Unis, donne évidemment comme exemple l’enquête obstinée de deux journalistes du Washington Post qui conduisent au Watergate et à la chute de Nixon (…). Aux yeux de Dumur, l’idéal est clair: la presse doit être le quatrième pouvoir, contre-pouvoir qui cherche à “faire reculer les zones d’ombre que tend à projeter, pour se dérober à l’examen critique, toute activité humaine”.

Grandeurs et misères de la presse politique, p. 267

Dans cette perspective, le journaliste n’est plus un acteur politique au sens plein mais sa position d’observateur critique lui confère le rôle de garant du système démocratique. Un retournement complet par rapport à la pratique du journalisme telle quelle se concevait encore 70 ans plus tôt, note Alain Clavien :

En trois quart de siècle, le point de vue dominant interne à la profession s’est complètement retourné. Alors que vers 1900, le journal politique, relais des partis et partenaire actif du jeu politique démocratique concentrait sur lui la légitimité et dénigrait sans ménagement son concurrent “neutre”, les années 1960 et suivantes voient le triomphe de l’idéal d’une presse d’information “indépendante”, tandis que la presse d’opinion est marginalisée.

Grandeurs et misères de la presse politique, p. 268

Déclin et chute

Face à ces changements, les deux titres finissent immanquablement pas fusionner. Dans les faits, on constate surtout que c’est le Journal de Genève qui prend le contrôle de la Gazette de Lausanne. Le logo et le titre de la publication qui les réunit le confirment :

Journal de Genève du 10 avril 1997. La mention "Gazette de Lausanne" apparaît en-dessous dans un lettrage plus discret et léger.

Mais la réunion des deux titres ne va lui offrir qu’un bref répit puisque le Journal de Genève se retrouve en concurrence avec un nouvel élément perturbateur: le Nouveau Quotidien. Les deux journaux pourtant très différents se battent pour capter la même part du marché. Si le Journal de Genève a derrière lui une longue histoire et une réputation de média effectuant un travail sérieux et ordonné organisé dans des pages volontairement austères, Le Nouveau Quotidien se considère comme un journal apolitique, neutre, jeune culturel et impertinent, en phase avec son temps. Au final, personne ne va remporter la lutte. Les deux titres fusionneront également pour former le quotidien suisse Le Temps, (celui-là même qui s’est autoproclamé “média suisse de référence”). Si le Journal de Genève semble un peu déconsidéré par la nouvelle rédaction qui se met en place, il ne va pas tarder à être réutilisé dans la construction de la mythologie du Temps. Lorsqu’on n’a pas de passé, “le plus simple n’est-il pas de s’en approprier un autre ?”, s’interroge Alain Clavien en guise de conclusion.

Le retour de la presse d’opinion ?

Non content d’offrir une assise historique à un journal qui ne remonte pas de l’époque héroïque, il me semble que le fait de rattacher le Journal de Genève au Temps pourrait permettre à ce dernier de s’émanciper progressivement de sont statut de journal d’information neutre et objectif, et de renouer avec une autre pratique journalistique  relevant plus de la presse d’opinion. Difficile de dire si on va vraiment dans ce sens. Certains observateurs voient dans le retour d’une presse d’opinion une planche de salut pour des médias en voie de disparition. Ainsi le sociologue Ueli Windisch se désespère du manque de presse politique affirmant des positions tranchées, seule manière selon lui de réinstaurer le débat au coeur de de notre société démocratique. Le développement de titres de presse ancrés de manière assumée à gauche ou à droite permettrait de passer par dessus la tentation de l’objectivation des faits de ne pas se prendre le chou sur l’impossibilité de l’existence d’une presse totalement neutre. Soit.
Le problème ne réside pas là à mon sens. La presse d’opinion existe toujours,mais elle se situe dans les marges. Plus active à gauche qu’à droite, elle réunit de nombreux titres en Suisse romande comme Gauchehebdo, Domaine Public, Le Courrier ou la Nation (Je vous laisse deviner lequel n’est pas à gauche…). Ces publications bénéficient d’un lectorat certes faible mais stable. Certains ont même décidé de se passer du papier, à l’instar de Domaine Public. Est-ce vraiment dans ce type de publications qu’il faut voir émerger le renouveau du journalisme ? Pas si sûr. Ce type de média s’adresse à la troupe des convaincus. Peu de personnes lisent la Nation sans pour autant adhérer aux idées de la Ligue vaudoise. De même, les conservateurs ne consultent pas régulièrement GaucheHebdo pour se convaincre du bien fondé d’un service public fort. A part quelques animaux politiques étudiant de près les arguments de la partie adverse, ces publications prêchent des convaincus. Elles ne contribuent pas directement à alimenter le débat sur la place publique mais servent de lucarnes et de références à leurs adhérents. Ce n’est pas un retour aux temps héroïques qui nous sortira de la panade.

A lire : Alain Clavien, Grandeurs et misères de la presse politique, Lausanne : Antipodes, 2010, 321 p.

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Article initialement publié sur Chacaille

>>premier volet de la série “Les nouveaux nouveaux chiens de garde”

>>deuxième volet : Honnêtement l’objectivité n’existe pas, que faire ?

A suivre…

Crédits photo Flickr the Commons : Nationaal Archief, George Eastman House

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Honnêtement, l’objectivité n’existe pas. (Que faire ?) http://owni.fr/2010/10/02/honnetement-l%e2%80%99objectivite-n%e2%80%99existe-pas-que-faire/ http://owni.fr/2010/10/02/honnetement-l%e2%80%99objectivite-n%e2%80%99existe-pas-que-faire/#comments Sat, 02 Oct 2010 12:25:11 +0000 Guillaume Henchoz http://owni.fr/?p=30041

Poursuivons la réflexion suscitée par la lecture de la recherche publiée par Mark Lee Hunter et Luk van Hassenhove (elle est directement disponible ici). Ces derniers s’intéressent à de nouveaux médias capables de financer de longues enquêtes journalistiques, remplaçant ainsi une industrie de la presse déclinante et déficitaire. Toutefois l’organisation, le fonctionnement, et les buts que poursuivent les médias stakeholders ne sont pas sans conséquences sur le statut des reportages et des articles qu’ils publient. Les deux chercheurs s’efforcent donc de penser une nouvelle éthique du journalisme qui puisse correspondre à ce nouveau modèle économique.

Quand les journalistes parlent “éthique”, on est souvent loin des grands débats philosophiques. L’éthique journalistique ne s’élabore pas dans la sphère éthérée de concepts abscons, inabordables ou qu’on ne peut appréhender. Il s’agit d’une éthique appliquée, en ce sens qu’elle qu’elle s’adresse à des professionnels et à des usagers qui peuvent percevoir a priori, en usant du bon sens, les éléments de tensions qui sont constitutifs de l’écriture journalistique et du rôle que remplissent les médias. Parmi les points de discorde, ressort régulièrement la notion d’objectivité. La critique du discours médiatique en a fait son cheval de bataille préféré. ACRIMED, par exemple, répète inlassablement le même mantra : Pas d’objectivité dans les médias. Good point. Faut-il pour autant douter qu’ils sont tous à la botte du grand Kapital ou de l’État (varier le scénario selon le contexte…) ? N’y a-t-il pas moyen de gagner honnêtement sa vie comme journaliste ?

En fait, la presse française (et par extension, la presse francophone) a construit sa déontologie autour d’une éthique de l’objectivité. C’est au cours du dernier quart du XIXe siècle que les journaux s’emploient à différencier ce qui relève des faits et ce qui ressort du domaine de leur interprétation. À la presse d’idées vient s’ajouter la presse d’information. Cette dernière ne va pas remplacer la première mais ces deux tendances vont cohabiter non sans quelques frictions. Ainsi, Émile Zola critiquait déjà cette manière aseptisée de rendre  compte des faits. Il y voyait le “flot déchaîné de l’information à outrance”. Trop d’info tue l’info. Le malheureux doit être en train de se retourner dans sa tombe. Il n’empêche, dès la fin du XIXe siècle, de nouveaux outils ainsi que de nouvelles méthodes commencent à apparaître. Le reportage et l’interview viennent s’intercaler entre l’analyse, l’éditorial et la chronique. La presse d’opinion qui a toujours prévalu dans la métropole française s’est donc pourvue de nouveaux outils d’objectivation qui vont permettre de renforcer le sérieux de son entreprise.

Traditions française et anglo-saxonne

Si les journalistes anglo-saxons peuvent trouver du côté de la sociologie naissante (notamment du côté de l’école de Chicago) les éléments qui vont contribuer à l’élaboration d’une méthode de travail et d’un code déontologique, la presse francophone fixe ses canons dans un contexte différent. En cette fin de XIXe, le journalisme s’inspire de l’Histoire, comme discipline académique. siècle Cette dernière est en passe de gagner ses lettres de noblesse. Le discours historique devient la science empirique qui donne la priorité aux faits. Au cours de cette période marquée par le positivisme, chercheurs et savants pensent pouvoir trouver la vérité dans l’étude impartiale des faits. Mais il n’y a pas qu’au sein des universités qu’on est convaincu par cette perspective. La presse est également persuadée d’effectuer un travail neutre et objectif dans la mesure où elle respecte un certain nombre de codes. C’est encore, me semble-t-il, le message qu’elle renvoie à ses lecteurs : “faites-nous confiance, nos outils et le cadre éthique accompagnant  notre travail nous permet de rendre compte objectivement de la réalité.” Un discours dépassé ?

Points de vue (qui se croient) objectifs.

Certes, le problème  se pose en des termes moins consternants chez nos confrères anglo-saxons qui ont toujours apprécié la notion d’objectivité avec plus de circonspection, sans pour autant s’en débarrasser totalement. Signe des temps, la société des journalistes américains a décidé d’ ôter le mot “objectivité” de son code déontologique. Mais il ne faut pas se leurrer :  l’éthique de l’objectivité a la peau dure. La défense d’un pré carré objectif soutenu par les médias contre vents et marées s’explique  par le contexte socio-économique difficile que traverse l’ensemble de la presse. La crise que traverse la presse ( mutation technologique, effondrement des modèles économiques, etc.)  ressert la corporation autour de quelques acquis qu’il s’agit de défendre (grosso modo, on a besoin de nous pour trier et enquêter). En ce sens, l’objectivité est un drapeau que les journalistes agitent sous le nez des blogueurs, des experts et des citoyens qui s’impliquent dans la petite cuisine de l’information. Grossière erreur. Irruption d’une autre crise, éthique cette fois. Car, la perte de références objectives est avant tout perçue comme une forme de déficit éthique. Pour dire, même Michael Moore se désole du fait que l’on enseigne plus l’objectivité aux journalistes en formation : “Dans les écoles américaines de journalisme, on n’enseigne plus l’objectivité mais l’apparence d’objectivité.” Les plus subjectifs des reporters du sérail médiatique peinent eux aussi à se détacher du concept.

“L’honnêteté” et surtout “la transparence”

C’est pourtant ce que propose Mark Lee Hunter. Bazarder l’objectivité. Lui préférer  “l’honnêteté” et surtout « la transparence ». La transparence est  LA vertu cardinale du journaliste du XXIe siècle selon ce journaliste passé à la recherche. Transparence sur l’endroit depuis lequel on s’exprime. Transparence sur les techniques d’investigation que l’on utilise. Transparence sur le sujet que l’on traite et sur la manière dont il nous affecte. Cette perspective commence à faire un peu son chemin au sein des rédactions francophones.

Ce qui paraît intéressant c’est que les nouvelles technologies  permettent précisément (mais pas automatiquement) cette plus grande transparence autour des modes et des conditions de production de l’information. Le site Mediapart publie régulièrement avec ses articles importants une « boîte noire » permettant à l’auteur de contextualiser l’investigation qu’il a menée. Les articles sont également munis d’un onglet « Prolonger » qui renvoie à des documents et à d’autres articles permettant de compléter ou de pousser plus loin la curiosité du lecteur. Sur les sites et les blogs, les hyperliens ont un peu la même fonction même s’ils ont parfois tendance à nous éloigner du sujet.

Dans un autre registre, il me semble  que le retour un peu mieux assumé du récit à la première personne participe de ce mouvement. Assumer son point de vue ne signifie pas nécessairement étaler son ego atrophié dans les pages des quotidiens (il y a la littérature pour cela). La revue XXI l’a bien compris, qui publie de nombreux et longs reportages dans lesquels le narrateur est directement impliqué dans l’histoire qu’il nous conte. Ce type de récit journalistique n’a en fait rien de nouveau. Il renoue avec une tradition du reportage portée par des Kessel ou des Albert Londres. Il marque assez bien le retour à un point de vue, à une focale plus assumée sur les sujets traités.

Il ne faut toutefois pas croire que ce processus est le seul fait de quelques médias de niches. La presse quotidienne sait se montrer également innovante. Les lecteurs du Temps ont ainsi pu suivre l’immersion d’un journaliste de la rédaction au coeur d’un collège lors de la rentrée scolaire. Le rendu de ce reportage effectué au plus près des gens forme une série hébergé par le site du journal. Sur son blog, le journaliste confie avoir été enthousiasmé par ce projet qui a demandé “du doigté, de la transparence et du respect mutuel“. Il se demande aussi si ce n’est pas dans ce type de travail que se trouve le salut économique de la branche…

L’éthique de la transparence à la place de l’éthique de l’objectivité, donc. Ce nouveau modèle déontologique s’affranchit facilement des critiques adressées auparavant à l’objectivité. il n’est plus question de s’attaquer aux journalistes pour leur reprocher une prétention à vouloir englober une connaissance pleine et entière de la réalité. En quittant la prétention à l’objectivité, les journalistes redeviennent des êtres humains, dotés de convictions, qui appréhendent la réalité avec leur subjectivité. Reste encore à renouer la confiance avec les lecteurs. Établir un nouveau pacte. Quelque chose comme : “Faites-nous confiance, voici nos outils, voici le cadre éthique accompagnant  notre travail, nous allons essayer de vous rendre compte honnêtement de la réalité.”

Au travail !

Billet initialement sur Chacaille ; premier volet de sa série “Les nouveaux nouveaux chiens de garde”

Images CC Flickr hynkle et workflo

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Cachez ce tweet que je ne saurais voir http://owni.fr/2010/07/12/cachez-ce-tweet-que-je-ne-saurais-voir/ http://owni.fr/2010/07/12/cachez-ce-tweet-que-je-ne-saurais-voir/#comments Mon, 12 Jul 2010 08:51:48 +0000 Martin Lessard http://owni.fr/?p=21685

"Les journalistes doivent être objectifs, blah blah, blah."

Cette fois-ci, c’est un haut gradé, Octavia Nasr, senior editor à CNN, vingt ans de service, qui tombe sous les tweets pour avoir gazouillé 140 caractères de trop.

Quand le leader spirituel du Hezbollaha a trépassé, elle a écrit sur Twitter sa tristesse d’apprendre sa mort et combien elle admirait respectueusement cet homme.

@octavianasrCNN : « Sad to hear of the passing of Sayyed Mohammad Hussein Fadlallah.. One of Hezbollah’s giants I respect a lot.. #Lebanon » 3:24 AM Jul 4th via Twitter for BlackBerry [cache]

Mal lui en prit. 140 caractères qui ont été mal interprétés. Quand elle prend le temps d’en écrire 4371, le doute n’est plus permis.

Mais que s’est-il passé ? Voilà une autre victime du mythe de l’objectivité en journalisme.

L’impartialité simulée

Qu’elle ait eu sa leçon, comme elle dit, « que 140 caractères ne soient pas assez pour s’exprimer sur des sujets controversés ou sensibles, particulièrement le Proche-Orient » (source), on peut comprendre. Qu’elle soit forcée de démissionner est autre chose.

Michael Arrington, de Techcrunch, demande « more opinion in news, not less » [2010]. Plus d’opinions chez les journalistes. Plus on connaît leurs biais, moins on les suspecte (il est moins facile de soupçonner une « intention cachée » quand on connaît la position du journaliste).

David Weinberger, du Cluetrain Manifesto, a la phrase qui résume le drame « transparency is the new objectivity » [2009]. Transparence comme objectivité. La transparence offre aujourd’hui une bien meilleure prise sur la réalité que la soi-disant objectivité. Le temps où nos parents nous filtraient, le monde extérieur est terminé. On veut voir par nous même, avec les vraies couleurs.

Ignacio Ramonet écrivait dans Le Monde diplomatique [2005] : « [...] beaucoup de lecteurs préfèrent la subjectivité et la partialité assumées des [blogueurs] à la fausse objectivité et à l’impartialité hypocrite d’une certaine presse. » (source)

Je ne sais si ça sera agréable de vivre dans une société où tous les journalistes affirment leur opinion, mais la recherche de « vérité » est bien illusoire si on ne leur reconnaît pas cette possibilité.

Mythe et information

Le mythe de l’objectivité (à ne pas confondre avec le besoin de tendre vers l’objectivité) est un vernis qui craque de partout dans les vieux médias. Ce n’est pas l’information qui est de mauvaise qualité, c’est la mise en scène qui est insupportable.

La crise actuelle des médias de masse découle de l’effritement d’une croyance culturelle : une information sur un événement ne s’altérait pas tout à fait dans sa transmission. Internet a fait place à la montée de nouvelles modalités d’interprétation de la réalité.

Le mythe veut que la transmission elle-même doive être invisible afin de préserver l’adéquation de « la réalité » de l’événement quand il est transformé en information.

Ce qui émerge aujourd’hui est une exigence de « récits incarnés », ouvertement humains (donc avec des biais) et voulant aller au-delà de simples traces figées de la réalité (ce que l’objectivité tend à faire croire) : la réalité s’expérimente de multiples façons.

Si on a tous des biais, mieux vaut le savoir et on ajustera en conséquence.

Le tabou de l’opinion

Mais voilà. Twitter est là, pour commenter à chaud l’actualité. Quand Sophie Thibault, chef d’antenne à la télé de Québecor, dit « Twitter est le plus puissant des fils de presse », le signal est clair pour les journalistes.

Que des journalistes tombent dans le piège de ne pas « rester objectif » même dans leur gazouillis, on le verra de plus en plus, cela ne fait aucun doute. Mais de grâce, ne les sacrifions pas pour une sacro-sainte objectivité idéalisée.

L’affaire Nasr rappelle le danger pour eux de transgresser le tabou de l’apparence.

On est d’accord pour qu’un journaliste soit digne de confiance (démontrer de saines intentions, être véridique et impartial), c’est la dimension morale de leur travail.

Mais au fur et à mesure que l’écosystème de l’information arrime les médias traditionnels avec les réseaux sociaux, il ne faut pas se surprendre de voir émerger des biais naturels et ce genre de mauvais pas. On se calme et on respire par le nez…

Billet initialement publié sur Zéro seconde

Image CC Flickr magnetisch

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Journalistes, vous avez une opinion, ne la cachez pas! http://owni.fr/2010/07/12/journalistes-vous-avez-une-opinion-ne-la-cachez-pas/ http://owni.fr/2010/07/12/journalistes-vous-avez-une-opinion-ne-la-cachez-pas/#comments Mon, 12 Jul 2010 07:52:18 +0000 Michael Arrington http://owni.fr/?p=21706 Je suis choqué de voir que les journalistes continuent à être punis, voire renvoyés, pour avoir exprimé leur opinion sur les sujets qu’ils couvrent. CNN a très récemment mis fin au contrat d’Octavia Nasr sur la base d’un tweet faisant l’éloge d’un ancien leader du Hezbollah. Le mois dernier, Helen Thomas a été obligée de démissionner à cause de ses déclarations sur Israël.

L’année dernière, le Washington Post a contraint ses journalistes à ne pas exprimer leurs opinions sur les médias sociaux : “cela pourrait être perçu comme reflétant des partis pris politiques, raciaux, sexistes, religieux ou autres qui pourraient ternir notre crédibilité journalistique.” Et la liste continue.

Un moyen détourné de me mentir

Je pense que les journalistes devraient avoir le droit de donner leur point de vue sur les sujets qu’ils traitent. Plus important encore, je pense que les lecteurs ont le droit de savoir quelles sont ces opinions. Franchement, je préfèrerais savoir à l’avance à quel point les gens de CNN ou de Fox News sont fous. Les empêcher de me fournir cette information est simplement un moyen détourné de me mentir.

Il y a quelques années, j’ai assisté à un diner à New York, en compagnie d’un journaliste très connu qui couvrait les informations nationales importantes, et particulièrement la politique. Il était dans le secteur depuis un long moment (le début des années 70) et nous avons eu une conversation édifiante autour de la collecte et de la conception de l’information, et sur la manière dont la technologie transforme l’industrie.

À un moment donné, je lui ai demandé avec désinvolture ce qu’il pensait du président Bush comme leader. Il est devenu très sérieux et m’a répondu qu’il ne commenterait pas. Curieux, je lui ai alors demandé quel parti politique emportait sa préférence. Là encore, il n’a pas répondu. Il m’a dit qu’il était important pour lui de garder cela secret pour que personne ne puisse lui reprocher un quelconque parti pris dans sa couverture des évènements.

Voilà qui  a pimenté la conversation.
Il a admis qu’il soutenait certains hommes politiques et pas d’autres et qu’il avait tendance à voter pour un seul et même parti. Il ne voulait simplement pas donner de noms. Et c’est le moment où je suis devenu sérieusement perplexe. Et je le reste. En tant que journaliste expérimenté, il voyait son métier comme le fait de présenter l’information de façon équilibrée et impartiale. Exprimer publiquement ses tendances politiques pourrait mener les gens à voir son travail différemment.

Le noyau dur de la formation

Je voulais lui démontrer que ses lecteurs avaient besoin de connaitre ses a priori politiques pour replacer le contenu qu’il leur propose dans son contexte. Il me semble presque impossible de ne pas intégrer ce type de parti pris dans ses articles. Il n’était pas d’accord et m’a fait remarquer que le noyau dur de sa formation était justement de parvenir à l’objectivité. Bien évidemment, son penchant était assez clair : il détestait Bush avec passion. Mais je ne suis pas parvenu à lui faire dire.

Il a tort. Un adjectif placé par ici, un paragraphe ajouté là, la bonne citation d’une source au bon endroit et voilà, vous êtes en présence d’un article exprimant une opinion mais avance sous le masque de l’objectivité pure.

J’ai été témoin de ce genre d’articles plus souvent qu’à mon tour, ce qui fait que j’ai tendance à ne pas accorder d’interview aux journalistes que je ne connais pas ou en qui je n’ai pas confiance. Il suffit d’un lapsus et tout l’article tourne autour, même si c’est hors-contexte. Le message d’ensemble est alors noyé sous la petite phrase qui donne au journaliste l’angle dont il a besoin.

Dans un article qui date de l’année dernière, je défendais l’idée que le journalisme collaboratif [NDT : "Process Journalism" en anglais] n’était pas une mauvaise chose, et qui bien au contraire il s’agissait là de la meilleure manière de développer ses articles :

Je frissonne toujours quand j’entends des journalistes dire “ne dites rien, trouvez une source pour le dire et citez-la”. Cela conduit à de terribles situations. Prétendre que l’on écrit sur un sujet alors qu’en fait on s’intéresse à tout autre chose pour ensuite tordre ce que vous disent vos sources pour cadrer avec ce que votre rédacteur en chef vous a demandé d’écrire n’est pas du journalisme éthique. Ces pratiques sont peut-être en accord avec ce que vous avez appris en école de journalisme, mais il s’agit en réalité de tribunes [NDT: "op-ed" en anglais ne connaît pas d'équivalent en français] sans faits réels pour appuyer l’argument.

Vous pensez qu’il est insensé de dire que les journalistes traquent les citations dont ils ont besoin pour raconter l’histoire qu’ils ont envie de raconter ? Et bien Tim O’Reilly avoue que cela a eu lieu très récemment :

Frustré par le reportage du New York Times sur Microsoft, j’ai été plutôt surpris de trouver des citations qui émanent de moi dans l’article d’Ashlee Vance. L’auteur a écrit une tribune comme si elle ne faisait que rapporter mes commentaires.

Nous sommes beaucoup critiqués chez Techcrunch pour produire des articles clairement biaisés. Et cela malgré le fait que nous exprimons nos opinions très clairement, parfois même dans le foutu titre.

Une combine à laquelle les journalistes sont habitués pour gagner en crédibilité

Ce n’est pas du journalisme, selon certains. Bien, je suis d’accord avec ça. Mais on ne peut pas être accusés d’être malhonnêtes avec nos lecteurs. Nous décrivons les choses comme nous les voyons. Nous ne manipulons pas les faits et n’inventons pas d’histoires. Nous ne partons pas à la recherche de citations pour les retravailler et les placer en soutien à l’article que nous voulons écrire, nous ne faisons que l’écrire. D’autres personnes peuvent écrire des articles différents présentant d’autres opinions. Et le lecteur peut tous les lire et en faire son propre billet de blog avec une tout autre opinion. Chacun dispose d’une imprimerie aujourd’hui, et l’encre est gratuite. Cela a changé le monde, et le journalisme a besoin de changer avec lui.

Le fait est qu’il est impossible pour un être humain d’écrire quelque chose qui ne soit pas subjectif. Nous ne sommes pas des robots, nous sommes humains. Au moment même où vous avez choisi le sujet de votre article, vous avez fait le choix subjectif de passer du temps à traiter ce sujet au lieu d’un autre. Tout découle de cela. Lisez attentivement l’article sur Microsoft vers lequel Tim O’Reilly renvoie et vous verrez surgir le parti pris de l’auteur entre les lignes.

Cela n’était pas si clair pour moi jusqu’à ce que je me mette réellement à produire de l’information. Je peux à présent lire n’importe quel article et vous dire en un clin d’œil quel est le parti pris de l’auteur, subtil ou pas. Toutes ces conneries sur l’objectivité dans le journalisme peuvent être analysées comme une combine à laquelle les journalistes sont habitués pour gagner en crédibilité auprès du public, qui y croit.  Il va falloir que j’écrive un autre article, ou un peut être bien un libre, pour étayer cet argument.

Voilà de quoi commencer diffuser ces idées au plus grand nombre, que chacun puisse en juger.

Billet initialement publié sur Techcrunch

Illustration CC FlickR par TarikB

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