Humanitaire: comment cibler de nouvelles générations de donateurs?

Le 10 octobre 2010

L'IRIN, média d'information et d'analyse de l'ONU, explique que le rajeunissement des profils passe par les jeux, en particulier les serious games, et les réseaux sociaux. Certaines ONG l'ont bien compris et ont investi ces terrains.

DAKAR, 1 octobre 2010 (IRIN) – Les donateurs âgés sont la poule aux Å“ufs d’or des organisations d’aide humanitaire ou d’aide au développement, selon plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) avec lesquelles IRIN s’est entretenu ; mais de nombreuses ONG, confrontées au vieillissement de leur base de soutien, ciblent de plus en plus les enfants, les jeunes et les jeunes adultes par le biais du réseautage social et des jeux vidéo.

Les donateurs individuels les plus généreux de l’ONG Action contre la faim (ACF) France, ont entre 65 et 70 ans, selon Nicolas Trombert, directeur par intérim des relations avec les donateurs au siège parisien de l’organisation ; les donateurs de la Croix-Rouge britannique appartiennent à une tranche d’âge semblable ; et ceux de Save the Children ont plus de 50 ans, selon Jeremie Bodin, directeur de la collecte de fonds d’urgence au sein de l’ONG.

Les donateurs âgés sont essentiels pour assurer le fonctionnement des organismes, et sont souvent plus sensibles aux réalités humanitaires, a noté James Kliffen, directeur de la collecte de fonds chez Médecins sans frontières (MSF) Royaume-Uni (UK). « Nombre de nos donateurs [britanniques] les plus âgés ont eux-mêmes connu la guerre… Cela demande beaucoup moins d’efforts pour leur expliquer ce que nous faisons », a-t-il dit à IRIN.

Malgré tout, il ne fait aucun doute que les jeunes d’aujourd’hui seront les donateurs de demain. « Nous nous efforçons d’attirer des donateurs plus jeunes – les jeunes professionnels de 25-30 ans – qui travaillent et souvent, n’ont pas encore d’enfants ; et nous aimerions toucher une cible encore plus jeune, pour que, lorsque ces personnes seront prêtes à faire un don, elles pensent à Save the Children », a dit M. Bodin à IRIN.

Avec les enfants, les jeunes et les jeunes adultes, ce n’est pas uniquement une question d’argent, a néanmoins expliqué Joanna Davies, responsable du développement de la base de soutien et des événements de collecte de fonds chez MSF Royaume-Uni.

Ce n’est pas tant une question de collecte de fonds [avec les jeunes], c’est une question de sensibilisation… et bien évidemment, cela évolue ultérieurement en collecte de fonds.

« Nous devons utiliser leurs outils pour communiquer »

Les organisations humanitaires avec lesquelles IRIN s’est entretenu – le Programme alimentaire mondial (PAM), Save the Children, ACF, Oxfam et MSF-UK – ont évoqué des méthodes traditionnelles de ciblage des enfants et des jeunes : les interventions scolaires ; la création d’outils d’apprentissage à l’attention des enseignants ; la formation de « sociétés étudiantes » dans les universités ; la diffusion de messages lors des festivals de musique ; le marketing de rue ; et l’organisation d’événements, entre autres nombreux exemples.

Les événements, divers et variés, vont des spectacles étudiants à d’autres divertissements plus épuisants : la branche britannique d’ACF organise actuellement le défi « twin peaks », qui aura lieu en novembre et dans le cadre duquel des collecteurs de fonds seront parrainés pour grimper en courant jusqu’au 67ème étage de deux édifices londoniens.

À mesure que le cybermonde se développe, tous disent employer des outils de réseautage social tels que Facebook, Twitter et YouTube pour inciter un public plus jeune à s’intéresser aux questions humanitaires. « Nous devons utiliser leurs outils pour communiquer », a dit M. Bodin.

Les jeux en ligne peuvent permettre de toucher des millions de personnes d’un seul coup : la société indienne d’apprentissage en ligne ZMQ a ainsi créé des jeux simples à répercussions sociales pour téléphones mobiles sur différents thèmes tels que le VIH/SIDA et les effets du changement climatique, et les a envoyés à 64 millions de personnes, a expliqué Asi Burak, co-président de l’ONG Games for Change, qui rassemble des philanthropes, des universitaires, des représentants des autorités publiques, de la société civile et de l’industrie du jeu en vue d’explorer la manière dont les jeux numériques peuvent catalyser le changement social.

Dans la peau d’une famille du Darfour

Par le biais de « jeux sérieux », les organisations humanitaires peuvent sensibiliser le public aux questions humanitaires et à la question du développement, renforcer leurs bases de soutien et collecter des fonds, a dit M. Burak, mais ceux-ci fonctionnent mieux lorsque l’objectif est clairement défini dès la phase de conception. Il est également essentiel de définir le public cible dans la tranche d’âge la plus étroite possible, et d’expliquer clairement le contexte, a-t-il ajouté.

Les utilisateurs apprennent par le biais du jeu de rôles et en affrontant les conséquences de leurs actes, a expliqué M. Burak. Dans Dying for Darfur [Mourir pour le Darfour], les utilisateurs choisissent un membre d’une famille darfourie et doivent lui faire effectuer différentes tâches – par exemple, aller chercher de l’eau – sans être tué, ni enlevé par une milice. Ce jeu Flash en ligne a été joué plusieurs millions de fois depuis sa sortie, en 2006.

Capture d'écran de Against all odds : si le joueur, dans la peau d'un manifestant arrêté, ne répond pas "correctement", il se prend un coup sur la tête.

Le PAM, un des premiers innovateurs dans ce domaine, a créé Food Force (le « premier jeu humanitaire », selon certains) en 2005, pour sensibiliser les utilisateurs à la faim, à la sécurité alimentaire mondiale et à ses opérations.

L’organisme travaille aujourd’hui en collaboration avec la société Zynga – créatrice de FarmVille sur Facebook – pour tenter de recueillir des fonds en faveur de ses programmes mondiaux d’alimentation scolaire. Les joueurs – une cible potentielle de 215 millions de personnes, selon le PAM – cliqueront sur l’icône « WeFeedback » pour découvrir combien de repas scolaires du PAM peuvent être achetés au prix de leur plat favori – par exemple, une salade César au poulet – et pourront ensuite choisir de faire un don.

Zynga a déjà aidé le PAM à recueillir 1,5 million de dollars à la suite du séisme en Haïti, en encourageant les joueurs de Fishville, YoVille, FarmVille et Café World à acheter des produits PAM.

« Les jeux ne sont pas un outil adapté à tout, a dit M. Burak. lls ne doivent pas se substituer aux autres médias, mais les compléter… Comme tout, ils sont un excellent outil lorsqu’ils sont utilisés correctement. »

D’aucuns craignent notamment que le jeu ne soit un moyen inadapté de transmettre des messages complexes notamment sur les enlèvements, les conflits ou l’expérience de réfugié, mais selon M. Burak, il peut, au contraire, être plus efficace. Pour illustrer son propos, celui-ci cite Peacemaker [Le Pacificateur], conçu pour sensibiliser les joueurs au conflit israélo-palestinien. « Les joueurs jouent le rôle de leaders, et doivent négocier avec huit groupes différents… Les utilisateurs ont déclaré que cela les avait aidés à saisir la complexité de la situation bien mieux que les événements isolés dont ils entendent parler aux actualités. »

Quelques jeux humanitaires

Against all odds, un jeu conçu pour les enfants de 12 à 15 ans, fait vivre aux joueurs l’expérience des réfugiés en 12 étapes, de la persécution à la demande d’asile

Dans Ayiti: the cost of life, créé par Youth et GameLab, les joueurs doivent faire vivre une famille haïtienne de cinq, veiller à ce qu’elle reste en bonne santé et à ce qu’elle soit instruite

Hurricane Katrina: tempest in Crescent City, suit les péripéties de héros locaux pendant la catastrophe Katrina, afin de dispenser aux joueurs des enseignements relatifs à la préparation aux catastrophes

Dans Third World farmer, les joueurs doivent gérer une petite ferme virtuelle dans un pays en développement

Dans un jeu créé par la Croix-Rouge, les joueurs suivent une simulation de formation et participent à des opérations d’urgence virtuelles sur le terrain

Wildfire, réalisé par By Implication a récemment remporté le concours étudiant international Imagine Cup, sponsorisé par Microsoft, dans la catégorie Conception de jeux. Le jeu s’inspire des efforts de bénévolat déployés par les Philippins à la suite des inondations provoquées par le passage du typhon Ondoy, à Manille, en 2009.

Nicholas Kristof, chroniqueur du New York Times, crée actuellement, en collaboration avec 54 ONG, un jeu en ligne inspiré du succès de son livre Half the Sky [La Moitié du ciel], sur l’oppression de la femme. Ce projet comprendra également une application pour téléphones mobiles, une émission télévisée et un documentaire en ligne.

Billet initialement publié sur le site de l’IRIN. L’Integrated Regional Information Networks est un projet du Bureau pour la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies qui délivre des informations et des analyses dans le secteur de l’humanitaire.

Image CC Flickr RedGlow82

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